La loi du marché
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Synopsis
À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral.
Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ?
Entretien avec Stéphane Brizé
Parlez-nous de la naissance du projet.
Mes films ont toujours traité de l’intime mais sans mettre en écho l’homme et son environnement social.
L’étape suivante était d’observer la brutalité des mécanismes et des échanges qui régissent notre monde en confrontant l’humanité d’un individu en situation de précarité à la violence de notre société. J’ai travaillé au scénario avec Olivier Gorce que je connais depuis longtemps mais avec lequel je n’avais jamais collaboré.
Son analyse et son regard sur les thématiques sociales et politiques sont très pertinentes et il était le compagnon de route idéal pour ce projet.
C’est une étrange intuition que de confronter Vincent Lindon à tous ces acteurs non professionnels.
J’ai l’idée de cette confrontation depuis longtemps. J’avais déjà parfois fait tourner des comédiens non professionnels dans des petits rôles avec à chaque fois le sentiment de me rapprocher d’une vérité qui est la chose qui m’intéresse le plus dans mon travail. Il fallait que je pousse le système plus loin en confrontant un comédien ultra confirmé à une distribution entière de non professionnels. Avec l’idée d’emmener Vincent Lindon dans des zones de jeu pas encore explorées par lui.
Comment avez-vous trouvé ces gens ?
Il y a beaucoup de rôles qui correspondent à des fonctions précises ; les agents de sécurité, la banquière, les agents de Pôle-Emploi, les hôtesses de caisse, etc… Coralie Amédéo, la directrice de casting, a donc cherché en tout premier des personnes qui occupaient la fonction du film dans la vie. J’ai été bluffé par les gens que j’ai rencontrés. Je doute qu’ils sachent faire ce que des acteurs font mais ce qu’ils font, je pense qu’aucun acteur n’est capable de le faire. C’est fascinant de voir des personnes arriver devant un metteur en scène et une directrice de casting, dans un bureau qu’ils ne connaissent pas et imposer avec une autorité sidérante une vérité aussi brute et puissante. D’où leur vient cette capacité à être ce qu’ils sont devant une caméra ? C’est un mystère qui me fascine complètement.
Diriez-vous qu’il s’agit d’un film politique ?
« Politique » dans le sens « organisation de la cité », oui. Je regarde la vie d’un homme qui a donné son corps, son temps et son énergie, pendant 25 ans a une entreprise avant d’être mis sur la touche parce que des patrons ont décidé d’aller fabriquer le même produit dans un autre pays à la main d’œuvre moins chère. Cet homme n’est pas mis dehors parce qu’il fait mal son travail, il est mis dehors parce que des gens veulent gagner plus d’argent. Thierry est la conséquence mécanique de l’enrichissement de quelques actionnaires invisibles. Il est un visage sur les chiffres du chômage que l’on entend tous les jours aux informations. C’est parfois juste une brève de deux lignes mais cela cache des drames absolus.
Il ne s’agissait pas par contre de s’égarer dans le misérabilisme. Thierry est un homme normal (même si depuis quelques années, la notion de l’homme normal a été un peu esquintée) dans une situation brutale :
Le chômage durant plus de 20 mois après la fermeture de son usine et l’obligation d’accepter à peu près n’importe quel travail. Et quand ce travail place l’individu face à une situation moralement ingérable, que peut-il faire ? Rester et devenir le complice d’un système inique ou partir et retrouver la précarité ? C’est la question du film. La place d’un homme dans un système.
Vous suivez Thierry très longtemps avant de lui faire trouver son travail.
Oui, c’était une idée importante pour moi que de longuement montrer Thierry dans la réalité de son humiliation sociale liée au chômage. Les rendez-vous à Pôle-emploi, les stages qui ne débouchent sur rien, la banque qui fait la morale, l’entretien d’embauche par Skype, etc… Personne n’est vraiment méchant mais chacun à sa place, sans vraiment le vouloir (ou sans trop oser le voir), participe à la violence du monde.
Ce monde c’est le nôtre. Et la durée de cette observation nous permet de comprendre que Thierry n’a absolument plus le choix lorsqu’il accepte son nouveau travail.
Vous ne faites d’ailleurs pas un portrait au vitriol de cette profession souvent caricaturée.
Mais parce que les personnes que j’ai rencontrées ne sont pas du tout caricaturales. Je n’ai pas rencontré de cow-boys qui abusent de leur petit pouvoir. J’ai rencontré des hommes et des femmes tout à fait sympathiques dont le métier est d’éviter le vol dans leur magasin. J’y ai ajouté quelque chose qui n’existe pas dans l’hypermarché dans lequel j’ai tourné qui est que le directeur vire des employés à la moindre petite faute pour ne pas les remplacer et augmenter son chiffre d’affaire.
C’est une invention ou vous aviez entendu cela quelque part ?
Je l’avais entendu il y a longtemps dans un documentaire et j’avais gardé cela en tête. Qu’une entreprise gagne de l’argent c’est une chose. Qu’une entreprise maltraite physiquement ou moralement ses employés pour gagner cet argent, c’en est une autre. Le travail devient une denrée rare. Comme l’eau. Et les entreprises ont finalement un pouvoir colossal entre les mains. Si l’entreprise est saine, le troc entre elle et l’employé est équilibré. Mais si cette entreprise se comporte comme une dictature qui possède l’arme nucléaire, alors l’employé devient ni plus ni moins que de la chair à canon. Que lui reste-t-il alors de sa dignité ? C’est ce que j’avais ici envie de regarder.
STÉPHANE BRIZÉ
FILMOGRAPHIE
Réalisation longs métrages :
2014 LA LOI DU MARCHÉ
2012 QUELQUES HEURES DE PRINTEMPS
2009 MADEMOISELLE CHAMBON
2007 ENTRE ADULTES
2005 JE NE SUIS PAS LÀ POUR ÊTRE AIMÉ
1999 LE BLEU DES VILLES
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