Les discothèques parisiennes tentent de revenir dans la danse
Les boîtes de nuit n'ont plus la cote. En trente ans, leur nombre a chuté de moitié. Rétro ou hype, reportage dans deux grandes institutions de la nuit, qui font tout pour ne pas mettre la clef sous la porte.
"Ah, une revenante ! Ça faisait un bout de temps." Eric, le patron du Memphis, sermonne une de ses clientes à l'entrée de la boîte de nuit située dans le IIIe arrondissement de la capitale. Il est 1 heure du matin. Physionomiste, le proprio du night-club passe ses soirées dehors à filtrer les entrées dans son club. "Quand j'ai commencé, il y a vingt-huit ans, 80% des clients étaient des habitués, explique-t-il. Maintenant, avec la crise, ils ne viennent plus."
Le public déserte les discothèques. Le Palace, les Bains Douches... Nombreuses sont les institutions des nuits parisiennes à avoir mis la clef sous la porte. Une étude de la Sacem, récemment publiée dans Le Parisien, dresse un constat alarmant. Au début des années 1980, on comptait plus de 4 000 établissements de nuit en France. Près de la moitié d’entre eux auraient fermé au cours des trente dernières années : on n'en recense plus que 2 200 aujourd'hui. Cette baisse d'activité, Eric l'impute principalement à la baisse du pouvoir d'achat.
Décidé à profiter un maximum de la nuit malgré un budget serré, Alexandre arrive le premier sur la piste de danse du Memphis. Ici, ce célibataire de 38 ans est un habitué. "Je venais tous les week-ends, mais je me suis calmé parce que c'est un peu difficile pour les finances." Même constat pour Sandrine, 43 ans : "Quand je n’ai pas d’argent, mes amis me dépannent. Mais je sors beaucoup moins." À 10 euros l'entrée pour les femmes (18 pour les hommes) et 10 euros le verre, la nuit coûte bonbon. "On se cotise pour acheter une bouteille. Ce n'est pas la joie."
Voyage dans le temps
La boîte se remplit et on file dans le passé. Les enceintes distillent des tubes des années disco. Le DJ est enfermé dans une capsule, au milieu d'un anneau de lumières roses et jaunes. Le top du modernisme à la sauce Trente Glorieuses. Les boules à facettes, les néons bleus, la moquette sur les murs... "Rien n'a changé depuis que mon père a installé le décor, il y a presque cinquante ans", explique le patron des lieux. Un parti pris assumé, quand on voit à quel point le lieu est impeccablement entretenu.
Sous les stroboscopes, un groupe de quadras se dandine de façon suggestive. Trois hommes, assis sur un canapé zébré, fixent les danseuses avec insistance. Sur leurs chemises à grands cols façon Scarface, les boutons sautent à mesure que la température augmente. Le temps du week-end, le Memphis revêt des airs de Miami beach des années 1980. Le soleil et les maillots de bain en moins.
Ce côté kitch séduit les clients. "On est au temple des femmes matures", raconte Rico, déterminé à ne pas rentrer seul ce soir. Plusieurs sites spécialisés ont sacré ce night-club "meilleure adresse pour draguer des cougars [femmes d'âge mûr]". D’ailleurs, les seniors en ont fait leur lieu de rendez-vous pour les thés dansants en journée. "Les clients classiques travaillent la semaine et ne sortent plus que le week-end. Alors, on a fermé progressivement du dimanche soir au jeudi soir au profit des après-midi, explique Eric, le patron. Le rendement n'est pas du tout le même que la nuit, mais c'est mieux que rien. Ça fait survivre la maison, sinon on coulerait."
La jeunesse part en live
Mais où sont les jeunes ? Pour tenter de les retrouver, direction la Machine du Moulin rouge, dans le très festif quartier parisien de Pigalle. Il est 3 heures du matin. Devant la porte, des jeunes adultes en jean-baskets fument une cigarette. Ici, pas besoin de se mettre sur son 31 ou de venir accompagné pour être accepté par les videurs. Comme dans une salle de spectacle, chacun paye son entrée. Les prix tournent autour de 15 euros.
"Il n'y a rien qui m'attire dans une boîte de nuit classique. Je préfère consommer la musique en live, lorsque les artistes sont présents, comme ici", explique Paul, 30 ans, assis sur un canapé rouge en face de l'énorme bar. Non loin de lui, Sarah, 25 ans, vient se désaltérer. A 10 euros le mojito, "c'est presqu'un investissement, ironise-t-elle. Mais la musique est bonne. Quand je décide de sortir, c'est parce que la musique me plaît vraiment." Pas question d’écouter la compilation du Club Med. Les rares fois où ils sortent en boite, les jeunes se montrent exigeants quant à la programmation musicale.
"Je suis venu écouter du rock and roll, parce qu'il y en a marre de la dance", explique son amie Lucie, 24 ans, qui sort du fumoir. Ce soir, le label de rock indépendant Born Bad Record fête ses 15 ans à la Machine du Moulin rouge. Une dizaine d’artistes et DJs se partagent les trois salles du club jusqu'au petit matin. Mais aucune chance de trouver, ici, le fameux "trois salles, trois ambiances". "C'est trop 'has been'. Cela fait trop 'boîte de nuit à l'ancienne'. Ici, on essaye de créer un petit festival chaque soir", explique Julien Delcey, le responsable d'exploitation du club pouvant accueillir 1 200 personnes.
Une autre version du rétro
Sur la piste de danse géante, les sosies de Mia Wallace côtoient les jeunes rockeurs branchés. Plus on s'avance vers la scène, plus la foule est dense. Sur l'estrade, le DJ en costume trois pièces à la mode des années 1950, fait tourner de vieux disques de rockabilly. Des escaliers amènent vers la salle du bas, où la musique est plus grunge. Un groupe remballe le matériel après un concert. Derrière eux, les anciennes chaudières du Moulin Rouge font office de décor. L'imposant amas de fonte et de tuyaux plonge le lieu dans une ambiance techno-indus qui rappelle le Berlin des années 1990. Une autre version du rétro qui, cette fois, attire les jeunes.
"L'immense majorité de nos clients a entre 20 et 30 ans", explique Julien Delcey, fier d'avoir su attirer une "clientèle éclectique". "On a un public de connaisseurs, de passionnés de musique", ajoute-t-il. C'était le parti pris des responsables dès le rachat du lieu, il y a quatre ans. Car le club sort d'une période sombre. En 2009, le Moulin Rouge rachète la Loco. Ce lieu emblématique des nuits parisiennes avait alors déposé le bilan. "Relancer le club était un gros challenge. Pour faire revenir les gens, il fallait revoir la programmation, le concept, l'identité du lieu." Plus question de parler de "discothèque". Le terme est trop démodé. La Machine du Moulin Rouge est un "établissement de nuit à cheval entre la salle de concert et le club", explique Julien Delcey.
"Cette fois, on enterre la Loco pour de bon"
Tout n'est pas rose pour autant. Après quatre années d'activité, le club n'est toujours pas rentable. "Avec la popularité de la musique électronique, on doit assumer des cachets d'artistes délirants", confie le responsable de l'établissement. Autre problème : attirer les fêtards en semaine. "On a essayé d'organiser des soirées le jeudi, on s'est cassé les dents." Pour être économiquement viable, l'énorme établissement ne peut se permettre d'ouvrir que le week-end. Du coup, la Machine va aussi se convertir aux activités de jours.
En juillet, les bulldozers raseront la salle du bar, dernier vestige de l'époque de la Loco, pour y créer "un espace ouvert dès 10 heures, avec des baies vitrées". Le but : proposer des expositions, de la danse et du théâtre pour rompre une bonne fois pour toutes avec l'image de discothèque ringarde. "Cette fois, on enterre la Loco pour de bon", s'amuse Julien Delcey.
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