Affaire Gabriel Matzneff : où en est l'enquête, relancée par un appel à témoins ?
La police a diffusé un appel à témoins, mardi, pour retrouver de potentielles victimes dans le cadre de l'enquête ouverte pour "viols sur mineur de moins de 15 ans" visant l'écrivain.
La justice veut retrouver de potentielles victimes de Gabriel Matzneff. Un appel à témoins a été lancé mardi 11 février dans le cadre de l'enquête ouverte pour "viols sur mineur de moins de 15 ans" visant l'écrivain. Dans son livre Le Consentement, l'éditrice Vanessa Springora est la première à témoigner parmi les adolescentes qui ont été les proies de l'auteur. Le comportement de ce dernier, décrit dans ses propres livres, a longtemps été toléré dans le monde littéraire parisien.
Il a pendant des années fait état de pratiques pédophiles dans ses essais et journaux intimes, publiés tour à tour chez Léo Scheer, La Table Ronde, Stock ou encore Gallimard. Où en est l'enquête ? Comment va se dérouler cet appel à témoins ? Franceinfo fait le point.
Des faits prescrits pour Vanessa Springora
Les faits dénoncés par Vanessa Springora sont anciens – ils se déroulent dans les années 1980 – et s'apparentent à une atteinte sexuelle, soit "un acte de pénétration sexuelle sans violence, contrainte, menace ou surprise, lorsqu'elle est commise par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans". En la matière, le délai de prescription varie entre dix et vingt ans (s'il y a circonstance aggravante) après la majorité de la victime. Un délai dépassé depuis longtemps puisque Vanessa Springora a aujourd'hui 47 ans. Si les faits dénoncés venaient à être qualifiés de viols, la nouvelle prescription de trente ans, entrée en vigueur le 6 août 2018, ne pourrait de toute façon pas s'appliquer car elle n'est pas rétroactive.
Malgré tout, le parquet de Paris a décidé de se saisir de l’affaire le 3 janvier, au lendemain de la parution du livre, dans le cadre d’une "enquête d’initiative". Comme l'explique Le Monde, la politique du parquet, systématisée sous le procureur François Molins, est de toujours ouvrir une enquête pour des faits de viols et d'agressions sexuelles sur mineur, même quand les infractions sont prescrites. "Au-delà des faits décrits par Vanessa Springora", l'enquête s'attachera "à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l'étranger", avait précisé Rémy Heitz dans son communiqué annonçant l'ouverture de l'enquête.
L'éditrice entendue par les enquêteurs
Vanessa Springora a été entendue fin janvier par les policiers de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP). "Les faits étant prescrits pour elle, cette audition n'aura pour Vanessa Springora qu'une portée symbolique", a indiqué son avocate, Léa Forestier, le lendemain. Mais "l'ouverture d'une enquête est un message fort pour les potentielles autres victimes pour lesquelles l'action ne serait pas prescrite", a-t-elle ajouté.
"[Vanessa Springora] souhaite toutefois rappeler que la façon dont chaque victime se reconstruit lui appartient et que sa propre démarche n'est motivée par aucune haine et ne constitue pas un appel à une chasse à l'homme", a précisé l'avocate. Avant de conclure : "Elle n'entend pas commenter les récents propos de monsieur Matzneff mais restera attentive à tous les développements à venir de la procédure ainsi engagée."
Un appel à témoins lancé par la police
"Un appel à témoins sera lancé aujourd'hui [mardi] par le service de police que nous avons missionné pour les investigations", a indiqué Rémy Heitz sur Europe 1. Outre la "manifestation de la vérité" et la vérification concernant la prescription des faits, "la démarche du parquet de Paris", quand il s'agit de mineurs, est de "faire en sorte", en ouvrant une enquête, "qu'il n'y ait pas de victimes oubliées", a expliqué le magistrat. Cet appel à témoins a été publié à 14h30 sur Twitter. Le parquet de Paris a indiqué à franceinfo que ce réseau social serait "le principal canal de diffusion".
[#AppelàTémoins] Suite à la publication du livre de Vanessa Springora, la #PoliceJudiciaire recherche des victimes ou des témoignages susceptibles d’être utiles à l’enquête. pic.twitter.com/YscgjvlRwO
— Police nationale (@PoliceNationale) February 11, 2020
Une adresse e-mail a également été mise à la disposition du public pour relayer tout témoignage utile à l'enquête : temoignage-ocrvp@interieur.gouv.fr .
"S'il y a eu d'autres victimes", il faut "leur permettre de s'exprimer, de prendre en compte leur parole et de poursuivre l'auteur des faits", a ajouté le procureur.
Un appel à témoins dans le cadre d'une enquête de ce type n'est pas une première. La police a également eu recours à cette méthode dans le cadre de l'affaire Epstein, ce financier américain retrouvé mort dans sa prison new-yorkaise le 10 août 2019. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "viols et agressions sexuelles", notamment sur mineurs, ainsi que pour "association de malfaiteurs", visant des faits que Jeffrey Epstein aurait commis lors de ses passages en France ces dernières années.
Gabriel Matzneff, qui séjourne en Italie, n'a pas encore été auditionné
Gabriel Matzneff n'a pas encore été entendu par les enquêteurs. A ce stade, le parquet n'a pas décidé d'ouvrir une information judiciaire et de mettre en examen l'écrivain, qui séjourne depuis le début de l'affaire sur la côte italienne. Il a confié à un journaliste du New York Times qu'il ne savait pas quand il rentrerait à Paris. Dans une interview accordée à BFMTV, filmée depuis son refuge, Gabriel Matzneff a affirmé "regretter" ses pratiques pédophiles passées en Asie, tout en faisant valoir qu'"à l'époque", "jamais personne ne parlait de crime".
"Un touriste, un étranger, ne doit pas se comporter comme ça. On doit, adulte, détourner la tête, résister à la tentation. Naturellement je regrette, de même que si je fais quelque chose qui n'est pas bien, je le regrette", dit-il dans cet entretien. Et d'ajouter : "C'était il y a plus de quarante ans ! (...) Vous étiez là comme voyageur et vous aviez des garçons et des filles jeunes qui vous draguaient et vous sautaient dessus, sous l'œil bienveillant de la police."
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