"Je me suis vraiment sentie salie" : paroles d'éditrices à propos des violences sexistes et sexuelles dans le milieu littéraire
Vanessa Springora a entrouvert la porte avec la publication de son livre "Le consentement", où elle raconte comment elle s'est retrouvée sous l'emprise de l'écrivain Gabriel Matzneff, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Aujourd'hui les langues se délient.
Deux fois dans sa carrière, elle aurait pu porter plainte pour agression sexuelle mais Caroline Laurent n'y a même pas pensé. Qui, de toute façon, l'aurait écoutée ?
Aujourd'hui directrice littéraire aux éditions Stock, elle a choisi de parler à visage découvert. Après le monde du cinéma, après celui du sport, l'édition rompt à son tour l'omerta. Caroline Laurent a rédigé la tribune publiée jeudi 6 février sur le site de franceinfo, signée par un collectif d'autrices et d'éditrices qui dénoncent les trop nombreuses violences sexistes et sexuelles, dans le milieu littéraire : remarques déplacées, attouchements, brutalité psychologique, agressions physiques…
"J'ai senti une masse plaquée sur mon corps"
Mais raconter reste douloureux : "Un de mes premiers souvenirs se passe lors d'un salon du livre en province. Et comme souvent dans ces salons du livre, on s'est retrouvés le samedi soir pour danser tous ensemble dans une ambiance bon enfant. Sauf qu'à un moment, j'ai senti dans mon dos, contre moi, une masse plaquée sur mon corps, un corps d'homme bien sûr, et cet homme se frottait littéralement sur mes fesses. Je me suis retournée extrêmement choquée et l'homme a eu des mots sidérants."
Il m'a dit : 'Désolé c'est trop bon, je ne peux pas m'en empêcher.'
Caroline Laurent, directrice littéraire aux éditions Stockà franceinfo
"J'ai reconnu cet homme, affirme l'éditrice. C'était un juré de prix littéraire et je n'ai pas été capable de réagir." Sidération également, lors d'un rendez-vous professionnel avec un auteur de renom, "un auteur célèbre qui, depuis, a reçu un grand Prix littéraire d'automne comme on dit dans notre jargon".
Cet auteur tout simplement à la fin de la soirée m'a forcée à l'embrasser. Il a posé ses mains sur mes seins. Il m'a tripotée.
Caroline Laurent
"Je ne le voulais pas, je l'ai repoussé, il a recommencé, poursuit Caroline Laurent. Le lendemain, il m'a envoyé un message en disant qu'il faisait des rêves érotiques de moi et je me suis vraiment sentie salie. Là encore, bloquée par le fait qu'il s'agissait d'un auteur de renom qui fait tourner la maison d'édition et que je n'étais pas en mesure de m'opposer à lui."
"En tant qu'employée, je n'aurais pas été protégée"
Parmi les signataires de la tribune, Anne-Charlotte Sangam, éditrice, a aussi subi ces violences sexistes, mains aux fesses du patron ou encore gestes déplacés. Elle se souvient d'un épisode désagréable lors d'une séance de photos promotionnelles avec un auteur, "un grand intellectuel, quelqu'un d'assez installé, assez courtisé aussi par la direction de la maison. Le shooting se passe. Je viens à la fin vérifier si tout s'est bien passé et là l'auteur dit : 'J'aimerais bien une photo avec mon éditrice.' Donc je me mets à côté de lui, il met son bras autour de moi et un quart de seconde après que le flash se soit déclenché, il me met la langue dans l'oreille. Et là vraiment la sidération. J'avais l'impression que si j'allais voir la direction pour en parler, je savais que moi, en tant qu'employée, je n'aurais pas été protégée."
"L’ère du silence est terminée"
Pour Lola Nicolle, éditrice et signataire de la tribune, c'est "juste une main sur la cuisse", enfermée dans une pièce avec un auteur. Elle a eu l'oreille bienveillante de sa directrice mais sa réaction l'a sidérée. "La première réaction a été : 'Tu es comme mes filles. Votre génération, vous ne supportez plus rien !' Ça montrait aussi tout ce qu'elle, en tant que femme, avait pu éventuellement endurer pendant toute sa carrière. À elle, je pense qu'on lui avait toujours dit que c'était normal que ce genre de choses se passe, que c'est comme ça et qu'il fallait fermer les yeux. C'est que nous… Quelque chose s'est passé !"
"Les femmes sont en train d’éduquer la société des hommes", conclut Caroline Laurent dans sa tribune. "Pour certains, tout cela est neuf, et donc perturbant. Il faudra pourtant qu’ils s’y habituent", écrit-elle. "L’ère du silence est terminée."
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