Cet article date de plus d'onze ans.
Alain Mabanckou : "Les Français ne regardent que leur pied malade !"
L’auteur de « Lumières de Pointe-Noire » (Seuil) est au Salon du Livre. Il répond aux questions de Culturebox.
Publié
Temps de lecture : 3min
Dans « Lumières de Pointe-Noire », votre dernier livre, vous retrouvez la cité de votre enfance après 23 ans d’absence. Pourquoi avoir reporté si longtemps ce retour ?
J’éprouvais une sorte d’appréhension. En quittant la ville, j’avais laissé tout le monde vivant, mon père, ma mère, en particulier. Repartir là-bas, y ressentir une sorte de vide total, de vide familial, me pesait beaucoup. Et Pointe Noire reste pour moi la mine de mon inspiration. Constater la désolation, la déliquescence des choses, tout ça aurait pu perturber mon écriture ultérieure… Donc, des raisons familiales : personne ne représentait plus mon arbre généalogique. Et des raisons de littérature : il est difficile d’aller voir ce qu’il y a vraiment dans la poule aux œufs d’or !
On a le sentiment que ces « Lumières » tiennent une place un peu singulière dans votre œuvre. Pour parler crûment, vous vous êtes un peu déboutonné. Il y a plus de doutes, on vous sent déstabilisé…
Oui, et beaucoup de lecteurs et lectrices me disent : mais qu’allez-vous écrire plus tard lorsque vous aurez mis tout par terre ! (rires) Mais, en fait, lorsque j’avais écrit « Demain, j’aurai vingt ans » qui était aussi un roman dans lequel je mettais à nu certains souvenirs d’enfance, je pensais ne plus y revenir… Finalement, on ne peut jamais épuiser une thématique. Il y a toujours des parcelles que l’on a pas visitées, des endroits, où il faut encore gratter pour trouver quelque chose. Toute la saga familiale qui me concerne pourrait nourrir des tomes et des tomes. Vous savez, je me fixe pour devise de ne jamais chercher le sujet, mais de laisser le sujet me chercher !
L’état dans lequel vous avez retrouvé Pointe-Noire vous a surpris ?
Il symbolise la déliquescence sociale au Congo-Brazzaville. Une ville sans cinéma, sans bibliothèque, ni force culturelle, a perdu beaucoup de choses. Il faudra des décennies pour rattraper ça. Le cinéma permettait aux gens de voyager, d’aller très loin. Jadis, c’était une activité populaire, publique, tout le monde y venait. Et internet, dont tout le monde ne bénéficie pas, loin de là, ne peut pas tout remplacer !
Vous vivez entre plusieurs continents, Amérique, Europe, Afrique … Ici, à Paris, ressentez-vous ce pessimisme devenu, dit-on, la grande spécialité française ?
C’est vrai que les Français ne regardent toujours que leur pied malade ! Entendez par là : ils pourraient aussi regarder l’autre pied en bonne santé ! Mais je rencontre aussi, en France, des gens heureux, des gens à qui je peux apporter de la joie de vivre, d’autres qui m’en apportent quand j’en ai besoin… En fait, je ne suis pas sûr que ce pessimisme soit aussi ancré qu’on que le dit.
"Lumières de Pointe-Noire" d'Alain Mabanckou (Fiction & Cie - Seuil) 282 pages - 19,50 euros
J’éprouvais une sorte d’appréhension. En quittant la ville, j’avais laissé tout le monde vivant, mon père, ma mère, en particulier. Repartir là-bas, y ressentir une sorte de vide total, de vide familial, me pesait beaucoup. Et Pointe Noire reste pour moi la mine de mon inspiration. Constater la désolation, la déliquescence des choses, tout ça aurait pu perturber mon écriture ultérieure… Donc, des raisons familiales : personne ne représentait plus mon arbre généalogique. Et des raisons de littérature : il est difficile d’aller voir ce qu’il y a vraiment dans la poule aux œufs d’or !
On a le sentiment que ces « Lumières » tiennent une place un peu singulière dans votre œuvre. Pour parler crûment, vous vous êtes un peu déboutonné. Il y a plus de doutes, on vous sent déstabilisé…
Oui, et beaucoup de lecteurs et lectrices me disent : mais qu’allez-vous écrire plus tard lorsque vous aurez mis tout par terre ! (rires) Mais, en fait, lorsque j’avais écrit « Demain, j’aurai vingt ans » qui était aussi un roman dans lequel je mettais à nu certains souvenirs d’enfance, je pensais ne plus y revenir… Finalement, on ne peut jamais épuiser une thématique. Il y a toujours des parcelles que l’on a pas visitées, des endroits, où il faut encore gratter pour trouver quelque chose. Toute la saga familiale qui me concerne pourrait nourrir des tomes et des tomes. Vous savez, je me fixe pour devise de ne jamais chercher le sujet, mais de laisser le sujet me chercher !
L’état dans lequel vous avez retrouvé Pointe-Noire vous a surpris ?
Il symbolise la déliquescence sociale au Congo-Brazzaville. Une ville sans cinéma, sans bibliothèque, ni force culturelle, a perdu beaucoup de choses. Il faudra des décennies pour rattraper ça. Le cinéma permettait aux gens de voyager, d’aller très loin. Jadis, c’était une activité populaire, publique, tout le monde y venait. Et internet, dont tout le monde ne bénéficie pas, loin de là, ne peut pas tout remplacer !
Vous vivez entre plusieurs continents, Amérique, Europe, Afrique … Ici, à Paris, ressentez-vous ce pessimisme devenu, dit-on, la grande spécialité française ?
C’est vrai que les Français ne regardent toujours que leur pied malade ! Entendez par là : ils pourraient aussi regarder l’autre pied en bonne santé ! Mais je rencontre aussi, en France, des gens heureux, des gens à qui je peux apporter de la joie de vivre, d’autres qui m’en apportent quand j’en ai besoin… En fait, je ne suis pas sûr que ce pessimisme soit aussi ancré qu’on que le dit.
"Lumières de Pointe-Noire" d'Alain Mabanckou (Fiction & Cie - Seuil) 282 pages - 19,50 euros
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