Après le Booker Prize, l'écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov prophète en son pays
La nostalgie qui débouche sur une guerre. Avec son roman Time Shelter, lauréat de l'International Booker Prize, l'écrivain bulgare Gueorgui Gospodinov a imaginé une "dystopie" devenue à son grand désarroi réalité, raconte-t-il dans un entretien à l'AFP.
Une réjouissante récompense pour les Bulgares
Auréolé avec sa traductrice Angela Rodel de la prestigieuse récompense britannique couronnant chaque année le meilleur roman traduit en anglais, l'auteur de 55 ans est désormais une vedette à Sofia. Dans ce pays le plus pauvre de l'Union européenne, miné par la corruption et les crises politiques, les médias comparent la vague d'euphorie née de cet International Booker Prize aux festivités qui ont suivi le parcours exceptionnel de l'équipe nationale de football au Mondial 1994."Je me rends compte à quel point la société bulgare a besoin de nouvelles lumineuses, surtout ces dernières années", explique Gueorgui Gospodinov, cheveux gris coupés court et tee-shirt hommage au jeu vidéo Pac-Man. La Bulgarie avait oublié le formidable "sentiment de 1994 quand vous aviez l'impression de déplacer des montagnes !", s'enflamme-t-il.
Time Shelter, empreint de mélancolie, emmène le lecteur dans une "clinique du passé" pour patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Marques de cigarettes, meubles, odeurs de savon, papier peint, tubes d'époque... chaque chambre recrée l'atmosphère d'une décennie dans les moindres détails, offrant un voyage dans le temps à ceux qui ont perdu leurs souvenirs. Le succès est tel que même ceux qui ont toute leur tête se réfugient là pour se protéger des méfaits de la modernité. Le passé en vient à envahir le présent et partout en Europe, les gouvernements "organisent un référendum pour choisir leur décennie heureuse".
Prémonitoire
Gueorgi Gospodinov a eu l'idée du livre, publié en 2020, en observant la glorification permanente du passé dans le monde. "C'est ce dont se nourrissent le nationalisme et le populisme", décrypte-t-il, évoquant la devise "Great again" de Donald Trump ou encore le Brexit.
En revanche, il n'avait "pas prévu" la guerre en Ukraine et "n'imaginait pas qu'on en arriverait là". S'il "n'est pas prophète", il raconte, amusé, que sa fille de 16 ans lui a lancé: "Papa, n'écris plus de livres comme ça". "Car peu de temps après, les choses ont commencé à se produire, à ressembler à ce qui est décrit", dit-il. "Lorsque vous vivez à une époque dystopique, les dystopies se matérialisent".
Son titre – Time Shelter" – en référence aux abris contre les bombes - était aussi prémonitoire. Le conflit "a remis le terme au goût du jour", tout comme "il nous a propulsés brusquement en arrière", constate-t-il, amer. Né en 1968 au cœur de la Bulgarie communiste, Gueorgui Gospodinov dit savoir par son enfance "reconnaître les dangers du populisme, parce que nous avons déjà vécu dans la promesse d'un futur radieux".
La littérature, "antidote à la propagande"
Il plaide pour "un travail de mémoire au quotidien". "D'une certaine manière, nous avons commencé à oublier la guerre précédente. Et finalement, on en est arrivé au point où un dictateur (Vladimir Poutine) a voulu ramener son pays à l'époque de la Seconde guerre mondiale". L'écrivain rend également honneur à la littérature, "antidote à la propagande", ravi de voir défiler des dizaines de lecteurs prêts à attendre des heures sous la pluie pour décrocher un autographe.
À la récente Foire du livre de Sofia, Gueorgui Gospodinov a accordé du temps à chacun de ses fans. Son "empathie", il explique l'avoir tiré de son enfance solitaire, au "rez-de-chaussée" – littéralement et métaphoriquement. Il proclame "le droit d'être fragile, vulnérable, triste. D'être blessé, seul, du côté faible, du côté des perdants". "Sinon, vous ne pouvez pas vivre, vous ne pouvez pas raconter des histoires", conclut-il.
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