"Baya ou le grand vernissage" : Alice Kaplan brosse un tableau saisissant de la peintre algérienne
"La vie de Baya, comme son œuvre, se prête à des interprétations contradictoires : pour certains, elle fut une prisonnière du regard colonial, puis une épouse et une mère confinée par le patriarcat islamique. On juge sa peinture trop agréablement décorative, ou ses personnages trop effrayants. Pour d’autres, elle fut une féministe lumineuse". Voici ce qu'affirme Alice Kaplan dans sa biographie de la peintre, Baya ou le grand vernissage publié aux éditions Le Bruit du monde début mai.
Qui est Baya Mahieddine (1931-1998) ? En 1947, âgée de presque 16 ans, elle accède à une notoriété soudaine. Quelques années plus tôt, orpheline, elle vivote dans une misère noire avec sa grand-mère dans la périphérie d’Alger. Pour s’occuper, la préadolescente dessine des robes inspirées des magazines de mode. Elle est repérée au hasard d’une rencontre par Marguerite Caminat, artiste et amatrice d’art, qui la prend sous son aile et encourage sa pratique artistique. L’adolescente rencontre ensuite les sommités de l’époque, dont André Breton et Picasso, admiratifs de son travail.
Notoriété internationale
L'écrivaine et historienne américaine Alice Kaplan retrace l'histoire de Baya, prodige de l'art moderne, découverte à 15 ans lors d'une exposition à la galerie Maeght en 1947. La jeune fille crée l’évènement à Paris. Son art coloré, ses motifs épurés, ses toiles aux couleurs luxuriantes ou ses poteries qui évoquent un imaginaire personnel en résonnance avec les contes kabyles, lui valent des louanges de l’élite intellectuelle parisienne et artistique. Georges Braque, François Mauriac, Albert Camus la portent aux nues. Lors d’un séjour en France, Baya travaille à ses modelages à l’atelier Madoura où elle côtoie Picasso. Une amitié et un respect mutuel naissent de cette rencontre.
L’un des mérites d’Alice Kaplan - et il y en a plusieurs, comme le travail d'archives - est de restituer le contexte historique de l’époque. L’autrice de Maison Atlas dépeint parfaitement la vie artistique dans le Paris de l'immédiat après-guerre, avec les premiers soulèvements en Algérie et ses répercussions politiques en France. "Pour ma part, grâce à l’histoire de Baya, je ne verrai plus jamais sous le même jour la France de l’après-guerre ", affirme Alice Kaplan, qui a découvert les tableaux de Baya lors d’une exposition, en 2018, à New York.
Après un début de carrière époustouflant, Baya connait une longue éclipse artistique avant de revenir à la peinture pour ne jamais la quitter. Aujourd’hui, son travail est exposé dans de nombreux pays. Alice Kaplan nous emmène à la découverte d'une artiste méconnue, effacée, grâce à son minutieux travail dans les archives, sans cacher les limites de celles-ci et ses propres interrogations. Fine connaisseuse de l’Algérie, l’enseignante en littérature française à l’Université de Yale signe un livre riche, foisonnant, fourmillant de détails, où les petites histoires disent la grande Histoire.
"Baya ou le grand vernissage", Alice Kaplan, traduit par Patrick Hersant, Le Bruit du monde, 23 euros
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