"La loi du rêveur" : Pennac rend hommage à Fellini et à son extraordinaire "Livre de mes rêves", réédité
Daniel Pennac embarque le lecteur dans ses rêves, dans le sillage de ceux du grand réalisateur italien Federico Fellini, et de sa belle folie.
Deux livres sortis début janvier 2020 invitent le lecteur à rêver. Le premier, La loi du rêveur (Gallimard), est signé Daniel Pennac. Le romancier y fait le libre récit de ses rêves d'enfance, tout en rendant hommage à Federico Fellini, qui pendant 30 ans, de 1960 à 1990, a noté et dessiné chaque jour ses rêves au réveil. Ses textes et dessins délirants et éclairants sur son œuvre cinématographique sont rassemblés dans Le Livre de mes rêves, publié dans une nouvelle et très belle édition chez Flammarion, à l'occasion du centenaire de Fellini, qui aurait eu cent ans le 20 janvier 2020.
"Quand j'avais six ou sept ans j'étais convaincu qu'il existait deux vies, l'une que l'on vivait les yeux ouverts, l'autre les yeux fermés". C'est par cette phrase, mise en exergue, que le père de Malaussène et de Kamo ouvre son dernier livre. Pas un roman, pas un essai, plutôt une balade qui commence avec un premier rêve.
En vacances avec son copain Louis dans la maison familiale du Vercors, l'auteur, 10 ans, s'endort sur cette idée que "la lumière, c'est de l'eau". Dans le rêve qui suit, son copain Louis, ses parents, tout le monde, dans la maison, a disparu.
"J'appris à recueillir leurs rêves"
Dans le salon, de la télé "éventrée" s'écoule "une large nappe de lumière silencieuse, faite de visages qui se distendaient comme des chewing-gum"… Le rêve se déploie au fil du récit, proliférant "avec la dévorante ampleur du lierre ou de la glycine", des ramures emportant le lecteur dans les souvenirs d'enfance de l'écrivain, d'autres au présent, avec sa tribu, d'autres branches s'agrippent aux rêves de Fellini, en forme d'hommage.
Comme dans les rêves, Pennac s'amuse à balader le lecteur, à mêler réalité et invention, personnages réels et personnages de fiction, car après tout, souligne-t-il, "l'imagination ne doit aucune fidélité aux rêves. Est-ce qu'ils nous consultent eux ?"
Pennac raconte : professeur dans des classes dites "aménagées", ses élèves refusaient d'écrire. "Ils se dérobaient à l'écriture comme des chevaux devant l'obstacle ; le même refus terrorisé. A ceux-là (et d'ailleurs à tous) j'appris à recueillir leurs rêves. Pas à les écrire : à les recueillir, simplement", confie l'écrivain. Un petit exercice qu'il les invite à pratiquer "accessoirement pour les ramener à l'écriture par des chemins détournés, Mais surtout pour qu'ils récoltent ce que le gars de la nuit léguait au gars du matin".
"Le côté magique de son processus de création"
A quoi les rêves peuvent-ils bien servir ? Pennac confie : pour lui, c'est cette nuit-là, dans la lumière liquide de ce songe, qu'il est devenu écrivain. Le rêve est-il le terreau des créateurs ? "Mieux vaut parcourir 'Le livre de mes rêves' de Federico Fellini non pas pour s'y livrer à une analyse indiscrète de son psychisme, mais plutôt pour y examiner le côté magique de son processus de création", nous dit Simona Argentieri, psychanalyste en introduction du Livre de mes rêves de Fellini. On peut en effet contempler ses dessins, se laisser porter par ses textes, pénétrer dans la jungle de ses songes, et appréhender l'univers extraordinairement foisonnant et poétique, parfois torturé, de ce grand réalisateur.
"Regardez, nous dit Pennac, Fellini dessinait ses rêves dès qu'il se réveillait. Il les coloriait avec tout ce qui lui tombait sous la main : des crayons de couleur, de la gouache, de l'aquarelle, des stylos billes, des feutres, de l'encre qu'il appliquait directement avec ses doigts, tout lui était bon. Après les avoir coloriés, il les racontait par écrit dans les espaces que le dessin laissait libres. Ce qui fait que toutes les pages sont saturées d'images et de lignes qui s'interpénètrent, vous voyez ?"
Le livre de ses films
Le maître lui-même, bien sûr, mais aussi Giulietta, y occupent une place centrale. Autour d'eux, Salvador Dali, Marcello Mastroianni, Charlie Chaplin, Hitler, Carlo Ponti, Picasso ou Toscan du Plantier... On croise dans ce flot toutes sortes de personnalités réelles que les rêves de Fellini mettent en présence de personnages fictifs, humains, femmes plantureuses, figures de cirque, chiens, chats, tigres, lions, éléphants, ou lapins, des avions, des trains, l'océan, mis en scène dans des décors explosés, les textes en lignes ou en bulles, comme des mini scénarios enroulés, déroulés avec une liberté sans limite. On y lit la frénésie, la mélancolie, les peurs et les joies, et surtout des échos, partout, à la filmographie du maestro, comme une bible contenant tout le vocabulaire de son œuvre. "Le livre de mes rêves est aussi le livre de ses films", rappelle la préface.
Rédigé entre 1960 et 1968, puis entre 1973 et 1990, Le Livre de mes rêves comprend dans cette nouvelle édition un fac-similé du manuscrit original, quasi au même format (24x34), auquel s'ajoutent en introduction des articles de spécialistes, et en fin d'ouvrage la transcription intégrale en français des textes, faciles à retrouver grâce aux vignettes des pages.
Le roman de Pennac est un hommage à Fellini autant qu'un hymne au rêve comme creuset de la création et de l'imagination. Son libre récit est une invitation à courir se perdre dans le monde onirique de Fellini, couché sur le papier avec une vitalité exceptionnelle, à plonger dans ces vastes pages où l'œil peut naviguer des mots aux illustrations, magnifiques et drôles, du grand maître.
Le rêve c'est la vie nous dit Pennac, quand il fait cet ultime songe où "Federico Fellini était mort de ne plus pouvoir rêver".
Deux livres à lire en dialogue avec un grand plaisir.
La loi du rêveur, de Daniel Pennac
(Gallimard – 167 pages – 17 euros)
Le livre de mes rêves, de Federico Fellini
(Flammarion – 584 pages – 75 euros)
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