"L'Algérie en couleurs" : la guerre des appelés en Kodacolor
Ils photographient ce pays qu'ils découvrent : la vie des populations, les femmes et les enfants, les paysages, leur quotidien de soldat, les opérations militaires, le contrôle exercé sur les populations civiles.
Alors que l'imagerie de cette guerre est écrite en noir et blanc, la couleur des clichés donne une réalité troublante à cette histoire. L'usage des nouveaux appareils photo de très bonne qualité (Leica, Foca), les négatifs couleur Kodacolor, qui permettent des tirages papiers peu onéreux, le succès des diapositives... Tout cela fait que de nombreux appelés arrivent en Algérie avec un appareil dans le paquetage. Les autorités tolèrent. Voire encouragent. "Le Bled", journal des troupes en Algérie, propose l'achat de Foca à des prix avantageux, organise même des concours de la meilleure photographie.
Pas question en revanche de photographier les opérations militaires. La censure règne : le contrôle sur les images s'est renforcé depuis l'Indochine. L'armée encadre sévèrement l'image de la guerre, une image policée, de villages apaisés, de cérémonies glorifiantes. Image cirée d'une Algérie pacifiée...
Regard en creux sur la guerre
Les photographies des appelés ne montrent donc pas directement le conflit et sa violence. Pourtant la guerre est là, en creux, hors champ, ou dans les petits détails connexes d'une image : montagnes en feu à l'arrière plan d'un soldat qui pose, souriant. Barrages électrifiés. Barbelés entourant les camps de regroupements. Interrogatoires, fouilles, contrôles. Femmes dans des villages sans hommes.
Ces photographies montrent l'Algérie française, dans les villes et dans les campagnes, l'Algérie des fermes coloniales, des écoles, de l'assistance médicale. Algérie "si peu française" aussi, comme le souligne tremor Queleneur, l'un des deux auteurs de ce livre.
Slimane Zeghidour, journaliste et écrivain, en a écrit les textes. Il fut sujet de ces photographes amateurs.
"C'est un souvenir aussi éblouissant qu'un flash : une jeep stoppe devant moi, un soldat en short kaki et chapeau de brousse bondit : souris !", me dit-il en ajustant le viseur de son appareil photo. Je m'exécute, il clique sur le bouton ... puis la jeep redémarre. Je devais avoir 6 ans. C'était la toute première photo qu'on prenait de moi. Je ne l'ai jamais vue."
Aujourd'hui Slimane Zeghidour est adulte. Il commente et raconte, souligne la nécessité de lire cette histoire avec quatre yeux et de l'écrire à quatre mains. "Au fond, il faudrait se souvenir, témoigner et penser pour deux".
Sept ans et demi de guerre, des centaines de milliers de morts, qui ont mis fin à 132 ans d'Algérie française. Ces clichés sont précieux. Ils ne cherchent pas à démontrer, à glorifier, à horrifier, n'ont pas d'objectif politique. Ils constituent un témoignage, la somme de regards singuliers et réalistes, posés sur le quotidien d'une histoire si difficile à dire, sur un monde aujourd'hui disparu. Leur simplicité (l'histoire montrée à hauteur d'homme), fait éclater toute l'horreur de cette guerre.
L'Algérie en couleurs : 1954-1962 Photographies d'appelés pendant la guerre
De Slimane Zeghidour et Tramor Quemeneur
Editions Les Arènes
216 pages / 29,80 Euros
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