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Cabu ou les mémoires d’un tas de vieux cons

Pour toute une génération, et même plusieurs, Cabu aura été l'incarnation d'une tendre insolence, d'une souriante résistance au conformisme et au conservatisme. Dans les années 70, en particulier, son coup de crayon était redouté. Tranche de vie dans une France encore très corsetée.
Article rédigé par franceinfo - Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Cabu en 1997 
 (SMOLDEREN/NECO/SIPA)

C’était au temps où nous étions jeunes. Une époque où nous vivions en province, pas en régions. Cabu allait entamer un tour de France de la connerie et reconnaissons que chez nous, il y a toujours de quoi faire sur ce plan là.

Au même moment –début des années 1970 - Jean Royer maire de Tours s’était lancé dans une campagne visant à interdire les films pornographiques en territoire pourtant gaulois. Sa conception du « pornographique » était large. Même « Helga » film allemand de 1967 qui tenait plus de l’éducation sexuelle que de la propa pour LA chose scabreuse, lui apparaissait inacceptable. Alors le film Emmanuelle qui sortit en 1974 ?!?!

A Saint Quentin dans l’Aisne, Jacques Braconnier, le bon maire UDR de l’époque avait résolu de s’aligner sur les positions de son collègue tourangeau. Voilà pour le contexte. La jeunesse de ce temps là décida d’envoyer une lettre pour alerter les joyeux drilles d’alors, ceux qui faisaient marrer tout le lycée, à savoir l’hebdo Hara Kiri, l’ancêtre de Charlie. Quatre lignes racontèrent que la patrie du pastelliste Quentin de La Tour ne souhaitait pas voir s’étaler sur les écrans de la ville les affreux spectacles de chair.

Quelques jours plus tard, l’affaire prit une autre tournure. Un type à lunettes rondes avec cheveux longs et sourire de bébé déboula place de l’hôtel de ville. Jean Cabu en personne, nous croquait. Effet waouhhh absolu, même si l’on ignorait alors l’expression. Deux pages entières du journal satirique furent consacrées à Saint Quentin, plus sanctifié que jamais. En particulier la mairie, magnifique construction de style espagnol, à l’image de celle d’Arras, qualifiée par le Cabu de passage, de remarquable « porte-jarretelles », façon d’être raccord avec les préoccupations du moment.

Scandale pour les uns, marrade pour les autres, assurément pour nous, bonheur intense de voir tout notre quotidien « génialement » dessiné par celui qui avait comme nous des airs d’ado... qu’il n’était pourtant plus. Et les garnements de rire sous cape, affichant à l’égard des parents, une innocence plus que relative.

Cabu en 1978 dans les locaux de Hara-Kiri
 (BAUMANN/SIPA)
Après cela, notre jeunesse bien ancrée dans un anarcho-syndicalisme boutonneux, vécut encore quelques années à suivre les aventures de Choron, Cavanna, Wolinski et …Cabu. C’était au temps où la dérision était permise sans soulever les tempêtes de polémiques interplanétaires. L’époque d’une jeunesse qui vit le passage du dessin de Cabu et de ses confrères et consoeurs, tout aussi ravageur dans bien d’autres cités de France, à propos de personnages de tout poil, et de quantité de sujets qu’on appelle aujourd’hui pompeusement « de société ».

Puis, le jeune, devenu vieux con re-vit le touriste saint-quentinois Cabu en démêlés judiciaires pour cause de caricatures du prophète. Tensions, violences extrêmes, questions d’identité, respect des uns et des autres… Fini de rire. Et pourtant Cabu persistait à rigoler, déterminé à garder haut le flambeau du trait qui incise. Jusqu’au jour où des types qui se sont d’abord trompés d’adresse ont flingué la plus belle part de la jeunesse d'un tas de vieux cons, celle d’une tendre insolence.

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