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"Cela paraissait normal qu'une enquête soit ouverte suite aux révélations que j'ai pu faire", réagit Valentin Gendrot, le journaliste infiltré dans la police

"Eux on va les contrôler, il y a deux beaux bâtards à l'intérieur." Le journaliste raconte le racisme, la formation "low-cost", les violences, le mal-être des policiers.

Article rédigé par franceinfo
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Le journaliste Valentin Gendrot raconte dans "Flic" deux années d'infiltration dans la police. (ÉDITIONS GOUTTE D'OR / AFP)

Le journaliste Valentin Gendrot s'est infiltré dans la police pendant deux ans, notamment dans le commissariat du 19e arrondissement, à Paris, de mars à août 2019. Dans Flic (éd. La Goutte d'or), il raconte ce qu'il a vécu et vu. Le préfet de police, Didier Lallement, a saisi à titre administratif l’Inspection générale de la police nationale après cette publication. "Cela paraissait normal qu'une enquête soit ouverte suite aux révélations que j'ai pu faire", a expliqué Valentin Gendrot sur franceinfo.

Franceinfo : qu'avez-vous découvert pendant votre infiltration ?

Valentin Gendrot : J'ai découvert que les deux grands tabous de la police française sont plus que jamais actuels. Ce sont les violences policières qui sont assez courantes, j'ai assisté à plusieurs cas sur des migrants, des personnes en garde à vue. Et j'ai aussi pu me rendre compte que la police va mal et que la question du mal être policier, des conditions de travail dégradées, du suicide tellement important que les psychologues parlent de sursuicide, est vivace.

Vous racontez notamment le tabassage d'un jeune migrant, passé sous silence par les policiers. C'est pour dénoncer ces zones grises que vous avez infiltré la police ?

Infiltrer la police c'est une démarche lourde, cela permet d'aller là où personne ne va jamais, de montrer au grand public que si la police est la profession la plus contrôlée de France, il existe aussi des zones grises où personne n'a de contrôle sur ce qui se passe. La garde à vue fait partie des zones grises, les interventions sous les radars sans que cela ne soit écrit ou dit sur les ondes police, cela existe et c'est ce que je raconte. Trois ou quatre passages à tabac de migrants sont passés sous les radars.

Vous parlez de ces violences mais aussi du racisme dans la police...

Le racisme dans le commissariat du 19e arrondissement existe. C'est l'objet d'une minorité qui aura un comportement violent, sexiste, raciste. Un jour on fait un contrôle routier. Deux jeunes hommes noirs roulent dans une Smart et un policier dit : "Eux on va les contrôler, il y a deux beaux bâtards à l'intérieur". C'est un exemple de racisme banal. On les a contrôlés et ils sont repartis puisqu'ils n'avaient rien à se reprocher. Mais, ils ont été contrôlés juste parce qu'ils étaient noirs.

La préfecture de police a signalé certains des faits de votre livre au procureur de la République. C'est une conséquence que vous aviez prévue ?

Oui, cela paraissait normal qu'une enquête soit ouverte suite aux révélations que j'ai pu faire, notamment sur la question du faux en écriture publique qui est une chose grave, c'est un crime, une des pires choses pour un policier. C'est passible des assises, d'une peine d'emprisonnement lourde. Donc oui, je ne suis pas surpris et c'est une bonne nouvelle qu'on rouvre cette enquête.

Vous racontez aussi le mal-être de la profession aujourd'hui. Pendant votre infiltration un policier du commissariat s'est suicidé. Comment ce drame a-t-il été vécu ?

Je travaillais dans une autre brigade que la sienne, donc je ne connaissais pas ce policier-là, mais évidemment lorsque nous avons tous appris que ce policier s'était suicidé cela a été un séisme extrêmement important dans le commissariat. 59 suicides en 2019, c'est un des plus tristes records depuis ces 30 dernières années. Il me semble que c'est extrêmement compliqué de pouvoir endiguer cette vague-là. Un autre policier s'est suicidé hier à Villeneuve-d'Ascq, donc c'est vraiment une question d'actualité. Cela devient même banal (...) Qu'est-ce qui a changé depuis 30 ans, depuis l'année dernière ? Rien.

Que pensez-vous de la formation des policiers ?

C'est une formation low-cost. En trois mois, je suis sorti de l'école avec une habilitation pour porter une arme sur la voie publique. Je n'avais jamais touché une arme de ma vie avant. J'ai été plutôt mal formé. Heureusement, je n'ai jamais eu à me servir de cette arme puisque je n'étais vraiment pas le meilleur pour me servir d'une arme.

Le thème des violences conjugales a été abordé à la fin de la scolarité. Cela ressemblait à un cours quand vous êtes au collège et que le prof ne sait plus quoi vous donner à faire et qu'il faut faire passer le temps. On a eu une heure théorique pendant laquelle le prof nous a expliqué comment un couple pouvait en venir à une situation de violence conjugale et les deux dernières heures étaient consacrées à la projection d'un film. C'est un peu court il me semble pour être bien formé sur les cas de violences conjugales.

Depuis la publication de votre livre, avez-vous des retours de vos anciens collègues policiers avec qui vous avez tissé des liens ?

Ils n'étaient pas au courant de ma démarche. Ils me disent qu'ils sont choqués, qu'ils sont abasourdis, ne s'attendaient pas à ça, mais ils me souhaitent bonne chance. J'ai aussi eu un message d'un ancien collègue du 19e arrondissement qui m'a dit qu'il était choqué et je lui ai dit : 'Bonne lecture, j'espère que tu vas bien'.

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