Dany Laferrière entre à l'Académie française
La cérémonie s'est déroulée en présence notamment du président de la République François Hollande et de la ministre de la Culture Fleur Pellerin.
Perpétuellement en exil, Dany Laferrière, 62 ans, est le premier Québécois et le premier Haïtien à rejoindre la prestigieuse institution créée par le cardinal de Richelieu. "Ce fauteuil est le siège de tant d'aventures reliées à l'Amérique que je ne serai pas étonné qu'il devienne un jour le fauteuil américain de l'Académie", a dit avec malice le nouvel académicien dans son discours d'hommage à l'écrivain Franco-argentin Hector Bianciotti, à qui il succède sous la Coupole du Quai de Conti.
Rappelant qu'un Alexandre Dumas avait également occupé le fauteuil numéro 2 qui est aujourd'hui le sien, il a précisé avec humour : "Ce n'était pas le Dumas des +Trois Mousquetaires+ mais plutôt son fils, l'auteur de +La Dame aux camélias+".
"Né écrivain à Montréal"
"Je suis né à Haïti, mais né écrivain à Montréal", répète celui qui se définit avec un rire salutaire comme "un écrivain japonais". Dans son discours, il a cependant tenu à saluer "le Martiniquais Aimé Césaire, le Guyanais Léon-Gontran Damas et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor"."Ce dernier a occupé pendant dix-huit ans le fauteuil numéro 16. C'est lui qui nous permit de passer, sans heurt, de la négritude à la francophonie", a rappelé Dany Laferrière, longuement applaudi par ses pairs et les nombreux invités parmi lesquels François Hollande. À la fin de la cérémonie, d'environ une heure et demi, les deux hommes ont échangé quelques mots.
Fils d'un célèbre opposant au dictateur François Duvalier, il voit disparaître son père, contraint à l'exil, alors qu'il a à peine cinq ans. Il ne le reverra jamais vivant. Confié à ses grands-parents, à Petit-Goâve, il est élevé par sa grand-mère, surnommée "Da", une femme envoûtante qui lui donnera le goût de lire.
Il a raconté les années passés à Petit-Goâve dans son livre "L'odeur du café" mais leurs échos sont présents dans quasiment tous ses ouvrages dont les titres sont souvent une invitation au voyage et à la rêverie : "Le charme des après-midi sans fin" ou "Le journal d'un écrivain en pyjama".
"Cette nonchalance, c'est votre forme d'élégance", lui dit Amin Maalouf
Mais cette supposée nonchalance ne saurait longtemps abuser. "Vous ne cessez de faire l'éloge de la lenteur, des après-midi sans fin, des mangues mûres qui tombent de l'arbre dans vos mains. Le dernier en date de vos livres a pour titre: +L'Art presque perdu de ne rien faire+. Cependant, si j'ai bien compté, cet ouvrage est le vingt-troisième que vous publiez. Curieuse manière de ne rien faire ! À vrai dire, cette nonchalance, c'est votre forme d'élégance", a fait remarquer l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf, qui présidait la cérémonie.Auteur d'une vingtaine d'ouvrages, Dany Laferrière, écrivain voyageur à la langue savoureuse et au rire contagieux, a été élu en décembre 2013 au premier tour.
Pour son intronisation, il a endossé un costume confectionné au Québec par Jean-Claude Poitras, avec un col semblable à celui du libérateur d'Haïti, Toussaint Louverture. Son épée d'académicien est signée du sculpteur haïtien Patrick Vilaire.
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— La1ere.fr (@la1ere) 28 Mai 2015
Cet espiègle qui refuse les étiquettes est né à Port-au-Prince le 13 avril 1953. Fils de l'ancien maire de la capitale haïtienne contraint à l'exil lorsque le dictateur Jean-Claude Duvalier prend le pouvoir, Dany Laferrière a ainsi été confié à sa grand-mère, Da, dans le village de Petit-Goâve.
Auprès de cette femme cultivée à qui il a rendu un hommage émouvant dans son livre "L'odeur du café", l'enfant Dany Laferrière va se familiariser avec les mots, lisant tout ce qui est imprimé y compris, raconte-t-il, le magazine Tel Quel auquel il "ne comprenait rien". Il va surtout s'imprégner de la compagnie des femmes, et il raconte en riant comment sa tante, bibliothécaire, l'habillait avec des habits de filles.
Ne pas se laisser enfermer dans l'image de "l'écrivain noir"
Quand Bébé Doc succède à son père, le sinistre Jean-Claude Duvalier, Dany Laferrière prend à son tour le chemin de l'exil. Comme beaucoup d'Haïtiens, il s'installe à Montréal où longtemps il a vécu "comme un clochard", travaillant au noir dans des tanneries, avant de connaître un succès fulgurant avec son premier livre, "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer", publié en 1985.Depuis, les livres, dont beaucoup reviennent sur son enfance en Haïti, se sont enchaînés. En peu de mots, Dany Laferrière réussit à dépeindre le foisonnement de la nature, la vie grouillante des villes. Il refuse de se laisser enfermer dans l'image de "l'écrivain noir". Avec une pointe de provocation, il a intitulé un de ses livres "Je suis un écrivain japonais". Il n'a de cesse de dénoncer "l'outrage géographique". "C'est une erreur, en littérature, de relier malgré lui un écrivain à son origine", a-t-il dit.
Un grand amateur de Walt Whitman
Écrivain, il est aussi un grand lecteur - il dit lire "dans sa baignoire rose" - et voue un quasi-culte au poète américain Walt Whitman tout en louant l'oeuvre de Maurice Blanchot, de Boulgakov, de Simenon ou de Gombrowicz.Touche-à-tout, cette force de la nature s'intéresse aussi au cinéma et à la peinture. Il reconnaît d'ailleurs ce qu'il doit à la peinture naïve haïtienne : "Créer une oeuvre qui soit tellement occupée par les sens qu'elle finisse par intoxiquer le lecteur, lui empêchant toute attitude critique." "C'est aussi ça l'oeuvre d'art, ça devrait permettre le repos de l'esprit et l'éveil des sens", a-t-il dit dans des entretiens diffusés cette semaine sur les ondes de France Culture.
À l'Académie française, il a annoncé qu'il ne se présenterait pas "comme le défenseur d'une langue, d'une région, d'une manière d'être. La langue est à tout le monde". Que dira-t-il à ses pairs ? "Je commencerai par leur dire : 'Bonjour, comment ça va ?' Ma mère m'a appris les bonnes manières."
Dany Laferrière a reçu le prix Médicis 2009 et le Grand Prix du livre de Montréal pour son roman "L'énigme du retour", qui raconte son retour en Haïti après la mort de son père. L'écrivain se définit à la fois comme haïtien et comme québécois.
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