Décès du grand écrivain Umberto Eco, révélé au monde avec "Le Nom de la Rose"
Ce philosophe de formation, célébré sur le tard alors qu'il approchait de la cinquantaine, a réussi un coup de maître avec son premier roman publié en 1980 : "Le Nom de la rose". Consécration: il a été adapté au cinéma en 1986 par le Français Jean-Jacques Annaud avec Sean Connery dans le rôle du frère Guillaume de Baskerville, l'ex-inquisiteur chargé d'enquêter sur la mort suspecte d'un moine dans une abbaye du nord de l'Italie. Truffé de latin, le polar de ce sémiologue de renom a même été la cible d'éditions pirate, notamment en arabe sous le titre "Sexe au couvent".... Autre conséquence, non négligeable pour l'édition italienne, "Le Nom de la rose a relancé le roman en Italie et la littérature italienne à l'étranger. Les écrivains italiens ont à nouveau été traduits", souligne le critique et romancier italien Alain Elkann.
Après "le Nom de la rose", il a notamment offert à ses lecteurs "Le Pendule de Foucault", "L'île du jour d'avant" et "La mystérieuse flamme de la reine Loana".
Son dernier roman, "Numéro zéro", est un polar contemporain centré sur le monde de la presse. Il est aussi l'auteur de dizaines d'essais sur des sujets aussi éclectiques que l'esthétique médiévale, la poétique de Joyce, la mémoire végétale, James Bond, l'art du faux, l'histoire de la beauté ou celle de la laideur. "Le beau se situe à l'intérieur de certaines limites tandis que le laid est infini, donc plus complexe, plus varié, plus amusant", expliquait-il dans une interview en 2007, ajoutant qu'il avait "toujours eu de l'affection pour les monstres".
Affirmant "écrire pour s'amuser", Il Professore était aussi bibliophile et possédait plus de 30.000 titres dont des éditions rares. "Eco était un premier de la classe, très intelligent, très érudit. Il a incarné avec brio la figure de l'intellectuel européen. Il était aussi à l'aise à Paris et Berlin qu'à New York ou Rio", estime Alain Elkann.
Homme de gauche, Eco n'avait rien de l'écrivain enfermé dans sa tour d'ivoire et ce joueur de clarinette écrivait régulièrement pour l'hebdomadaire L'Espresso. Après la victoire aux élections législatives de Silvio Berlusconi en 2008, il avait consacré un article au retour de l'esprit des années 40, regrettant d'"entendre des discours semblables à ceux sur la défense de la race qui n'attaquaient pas seulement les Juifs mais aussi les Tziganes, les Marocains et les étrangers en général". Son dernier combat l'a mené aux côtés d'autres écrivains, dont Sandro Veronesi (Chaos calme) pour protéger le pluralisme de l'édition en Italie après le rachat de RCS Libri par Mondadori, propriété de la famille Berlusconi.
Umberto Eco a rejoint avec d'autres auteurs une nouvelle maison d'édition, baptisée "La nave di Teseo" (le bateau de Thésée, le mythique roi d'Athènes), dirigée par Elisabetta Sgarbi, ancienne directrice éditoriale de Bompiani, fleuron du groupe RCS, éditeur en Italie d'Umberto Eco mais aussi du Français Michel Houellebecq.
Le reportage de France 2, après l'annonce de son décès
Les hommages en France et en Italie, samedi
"C'est un homme avec lequel j'ai gardé un rapport d'admiration totale et de plaisir de vie", a raconté sur France Info le réalisateur Jean-Jacques Annaud qui a adapté au cinéma "Le nom de la rose", "un livre extrêmement réjouissant mais qui a découragé trop de lecteurs", selon lui. "On a beaucoup visité de monastères ensemble, il était d'une folle dynamique, me laissant toujours totalement libre, y compris pour le choix de Sean Connery qui l'avait catastrophé, sauf que quand il a vu le film, il a dit que c'était la chose la plus réussie", s'est souvenu le cinéaste. "C'était un personnage tout à fait fascinant, parce que d'une érudition embarrassante, qui vous fait toujours sentir un petit peu crétin, et d'une gaieté de vie stupéfiante, un mélange détonnant", a-t-il confié.François Hollande a salué la mémoire de "ce grand Italien qui n'a jamais cessé d'être un grand ami de la France". "Umberto Eco était un immense humaniste. Philosophe, linguiste, il s'intéressait à tout car il pensait que tout est signe dans une société. Ce grand savant était aussi à l'aise dans l'histoire médiévale que dans les bandes dessinées qu'il fut l'un des premiers universitaires à défendre dans les années 1960", écrit le président de la République. Umberto Eco "n'était jamais fatigué d'apprendre et de transmettre son immense érudition avec verve et humour. Il était nourri des mythes et des sagesses du monde entier. Ses oeuvres ont inspiré le cinéma et suscité des curiosités jamais assouvies", poursuit M. Hollande. "Les bibliothèques ont perdu un lecteur insatiable, l'université un professeur éblouissant et la littérature un écrivain passionné. Je salue la mémoire de ce grand Italien qui n'a jamais cessé d'être un grand ami de la France", conclut le chef de l'Etat.
"Sémiologue, linguiste, romancier, journaliste, Umberto Eco était un grand intellectuel italien et européen, un créateur génial dont l'oeuvre a traversé les frontières du monde des lettres et des idées", a salué la ministre de la Culture. "L'érudition, la curiosité sans limite, l'immense culture et la passion d'Umberto Eco vont nous manquer mais ses idées, son sens du récit et son écriture malicieuse resteront à jamais et accompagneront de nombreuses générations", a écrit Audrey Azoulay.
"C'est une conscience européenne qui nous quitte", a tweeté le Premier ministre, Manuel Valls, qui voit en lui "un immense conteur".
Pour Jean-Marc Ayrault, "Umberto Eco a incarné et perpétué le génie de l'Europe, du métissage des cultures, du dialogue entre les langues et les civilisations et du croisement des époques". "Il disait que la langue de l'Europe était la traduction et, tout au long de sa vie, il a été un infatigable passeur et un interprète de talent", a affirmé le ministre des Affaires étrangères.
https://twitter.com/NicolasSarkozy/status/700982260451975168
"La culture européenne perd un de ses plus grands défenseurs. La somme de son oeuvre littéraire et universitaire sera son legs", a réagi Nicolas Sarkozy sur le réseau social. "Merci à Umberto Eco pour le bonheur de lire qu'il nous a donné. Et pour sa vision de l'Europe, la vraie, celle de la culture", a abondé le maire de Bordeaux Alain Juppé.
"Percevoir le sens, en tout, le donner à saisir, est-il plus grande urgence en ces temps de confusion et de manipulation?", a noté l'ex-ministre Christiane Taubira sur Twitter. "Au Nom de la Rose, grazie mille îUmberto", a commenté Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement. L'ex-ministre Fleur Pellerin s'est elle fendue d'un tweet en italien pour dire "au revoir" à M. Eco.
https://twitter.com/bernardpivot1/status/700958786098487296
Sur Twitter, la maire de Paris Anne Hidalgo a salué "un grand Européen", disant sa "profonde tristesse de voir partir ce romancier, philosophe, linguiste et humaniste universel". "A Umberto Eco, on donnait un mot et ce mot faisait aussitôt lever dans son esprit 2 souvenirs, 3 histoires et 4 réflexions", a twitté le journaliste Bernard Pivot.
Pour Jean-Noël Schifano, qui a traduit depuis 30 ans tous ses romans en français, "Il était rond de chair, de coeur et carré d'esprit", se souvient l'écrivain et éditeur. "Rondeur dans le contact, l'amabilité, l'écoute et en même temps carré dans la vivacité, les répliques, la captation des réalités. C'était le plus rond des hommes et en même temps le plus carré", résume-t-il. "La construction de ses romans est magistrale. C'est quelqu'un qui a introduit dans le roman les plus grands savoirs du Moyen-Age jusqu'à nos jours avec une richesse, une générosité, une profusion et en même temps, une maîtrise remarquable", explique Jean-Noël Schifano. Cette maîtrise "fait la grandeur et la beauté de ses romans". Pour Umberto Eco, le rire était "fondamental, c'était l'esprit qui éclatait de joie", note-t-il. "A tous les niveaux, il introduisait une légèreté dans les échanges. On pouvait parler des choses les plus sérieuses et tout d'un coup, ça devenait léger et rieur, parce qu'il avait une telle possession du savoir", souligne-t-il. "Quand on était six mois sans se voir et qu'on se retrouvait à Paris, on ne se disait pas bonjour: il me disait tu connais la dernière, et il me racontait une blague", ajoute Jean-Noël Schifano, évoquant aussi un grand francophile "très proche de la culture française et de nos grands historiens du Moyen-Age", qui "adorait Cyrano de Bergerac et récitait des tirades par coeur".
Son éditeur français, Olivier Nora, Pdg des Editions Grasset&Fasquelle, "a salué la mémoire du plus grand vivant des savants, du plus joyeux des érudits, du plus jovial des écrivains, du plus généreux des artistes (...) : l'incarnation même du Gai Savoir".
Pour Laurent Binet, prix Interallié pour "La septième fonction du langage", "c'était à la fois un homme qui faisait preuve d'une très grande rigueur intellectuelle et de beaucoup d'humour, d'un sens du jeu". Il "était capable de parler de publicité ou de faire l'analyse d'un billet de 50.000 lires comme si c'était un texte littéraire", a-t-il dit.
Le chef du gouvernement italien Matteo Renzi a rendu hommage à l'un des Italiens les plus connus dans le monde, romancier mais avant tout sémiologue, linguiste et philosophe. "Il était un exemple extraordinaire d'intellectuel européen", a déclaré Matteo Renzi. "Il a su allier à la fois une singulière intelligence du passé et une inlassable capacité à anticiper l'avenir", a-t-il ajouté
Les principaux romans d'Umberto Eco
- 1980 : Le Nom de la rose (Il nome della rosa), a été traduit en français en 1982 et a reçu le prix Médicis étranger la même année.
- 1988: Le Pendule de Foucault (Il pendolo di Foucault) publié en français en 1990.
- 1994: L'Ile du jour d'avant (L'isola del giorno prima), traduit en français en 1996.
- 2000: Baudolino (Baudolino) qui obtient le Prix Méditerranée Etranger 2002.
- 2004: La Mystérieuse Flamme de la reine Loana (La misteriosa fiamma della regina Loana).
- 2010: Le Cimetière de Prague (Il cimitero di Praga).
- 2015: Numéro zéro.
Ses romans avaient été traduits en français et publiés par les éditions Grasset. Très érudit, Umberto Eco était aussi l'auteur de plusieurs dizaines d'essais sur des sujets aussi éclectiques que la sémiotique dont il était un grand spécialiste, l'esthétique médiévale, la linguistique ou la philosophie. Il avait écrit notamment une Histoire de la beauté (2004) et une Histoire de la laideur (2007).
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