Des sources internes chez l'éditeur Fayard dénoncent le projet "idéologique" de Vincent Bolloré avec la nomination de Lise Boëll à la tête de la maison

Chez Fayard, l'un des plus anciens éditeurs français, l'on craint que les valeurs de la maison d'édition soient "effacées" afin de servir le projet politique de l'homme d'affaires Vincent Bolloré.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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L'éditeur Fayard lors de l'édition 2023 du Festival du livre de Paris, le 23 avril 2023. (STEPHANE MOUCHMOUCHE / HANS LUCAS / AFP)

Des sources internes à la maison d'édition Fayard ont dénoncé mardi 27 février le projet "idéologique" de Vincent Bolloré, déplorant que le milliardaire conservateur veuille récupérer cette marque au profit d'une éditrice marquée très à droite. Lise Boëll, 57 ans, est connue pour être derrière la transformation d'Éric Zemmour, journaliste au Figaro, en essayiste d'extrême droite à succès aux éditions Albin Michel dans les années 2010.

Hachette Livre, filiale de Lagardère, donc de Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, a annoncé le 22 février la nomination de Lise Boëll comme directrice générale des éditions Mazarine. Le groupe précisait alors que Mazarine et Fayard, autre maison de Hachette Livre, seraient désormais indépendantes, après avoir été liées pendant 45 ans.

Contre l'association avec Mazarine et l'effacement de Fayard

Selon des sources internes à Fayard interrogées par l'AFP, Vincent Bolloré souhaitait dans un premier temps faire embaucher Lise Boëll chez Fayard. Ce projet a rencontré une forte réprobation au sein de cette maison, depuis la PDG Isabelle Saporta jusqu'aux salariés, syndicats et auteurs. Le milliardaire a donc changé de plan.

Ces sources chez Fayard étaient interrogées, dans La Lettre et Le Monde, indiquant que la marque serait apposée sur les livres de Mazarine. "L'utilisation de la marque va échapper aux éditions Fayard, puisque le projet est de la céder sous forme de licence, sans aucun contrôle éditorial", a confirmé à l'AFP l'une de ces sources, sous couvert de l'anonymat. "Fayard et Mazarine, ce sont deux projets idéologiques qui n'ont rien à voir. Que les deux portent le même nom, cela n'aurait aucun sens", a-t-elle ajouté. Interrogée par l'AFP sur ce projet d'utilisation de la marque Fayard par Mazarine, une source proche de Vivendi s'est refusée à tout commentaire. La direction de Hachette Livre n'était pas joignable, de même que Lise Boëll.

"Au moment où on s'interroge sur la diversité au sein des médias de Vincent Bolloré, il donne un exemple de la manière dont il compte imposer sa ligne idéologique", a déclaré une autre source au sein de l'entreprise. "Chez Fayard, tout le monde comprend très bien qu'il puisse y avoir une maison d'édition de type CNews [chaîne télé d'information également contrôlée par M. Bolloré]. Mais pas qu'on efface notre maison et tout ce qu'elle représente", a-t-elle ajouté.

Au service d'un projet politique réactionnaire

Vincent Bolloré reproduit ce qu'il avait déjà mis en place dans un groupe d'édition rival qu'il détenait jusqu'à fin 2023, le numéro deux français Editis. Quand Lise Boëll avait quitté Albin Michel fin 2021 après 24 ans de carrière, il avait sauté sur l'occasion pour l'embaucher. Il l'avait nommée à la tête de Plon, qui est comme Fayard l'une des plus anciennes maisons d'édition françaises encore en activité.

Selon les sources internes à l'AFP, Hachette Livre compte installer les locaux de Mazarine à Paris rue d'Assas, comme Plon à l'époque. Et Lise Boëll prévoit de s'entourer de plusieurs collaborateurs passés par Plon, pour attirer les mêmes auteurs, dont Philippe de Villiers ou Stéphane Bern. L'Obs affirmait début février que Lise Boëll avait convaincu le président du Rassemblement national Jordan Bardella d'être l'éditrice de son premier livre, dans la perspective des élections européennes de juin où il sera tête de liste. Cet ouvrage est l'une des principales raisons pour lesquelles la direction, les salariés et les auteurs de cette maison ne veulent aucun lien d'association avec Mazarine.

"Une licence, cela veut dire : je veux ton nom, je veux ta marque, ton prestige, et tu n'as pas ton mot à dire", a déploré une de ces sources. Vincent Bolloré ne fait pas mystère de son attachement à un catholicisme traditionaliste, et est dénoncé par de nombreux détracteurs comme se servant des médias et maisons d'édition qu'il contrôle au profit d'un projet politique réactionnaire.

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