"Domenica" des Raynal père et fils : la vie romancée d'une femme collectionneuse d'hommes, soupçonnée d'avoir tué ses amants

Dans "Domenica", la biographie romancée de Juliette Lacaze, née à Millau en 1898, à l'aube du siècle, le lecteur découvre l'extraordinaire existence de "la veuve noire de l'art". C'est aussi l'occasion de revisiter l'exposition Modigliani à l'Orangerie qui revient sur Paul Guillaume, grand collectionneur et amoureux fou de Domenica.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Patrick et emmanuel-Alain Raynal, auteurs de "Domenica" aux Editions Albin Michel (Samuel Kirszenbaum)

Avec ce roman où presque tout est vrai, nous parcourons la vie sulfureuse et hors du commun de cette femme qui a traversé l'histoire du 20e siècle, au bras de ses amants, dans l'univers de l'Art. Apparaît à ses côtés, Paul Guillaume, le grand collectionneur, et ami d'Appolinaire. L'occasion de revenir sur l'exposition qui présente les liens entre lui et Modigliani, actuellement au musée de l'Orangerie à Paris. 

L'histoire :

Quand Paul Guillaume la remarque pour la première fois, elle s'appelle encore Juliette Lacaze. Elle arrive de Millau. Ce soir-là, elle tient le vestiaire du Vicking, boîte de nuit où le marchand d'art donne une fête comme les années précédant la Grande Guerre en ont connu."Elle était jeune, positivement adorable avec ce quelque chose en plus dans le regard que seuls quelques grands peintres ont su attraper." Leur rencontre est un coup de foudre, en tout cas pour le pâlichon, mais ambitieux Paul Guillaume. Et ainsi naît Domenica. "Pourquoi Domenica ? Je ne m'en souviens plus. Sans doute parce que nous étions dimanche et que le soleil nous faisait penser à l'Italie."

Une collectionneuse d'hommes pour un collectionneur de tableaux

Domenica vivra avec Paul, collectionnera les amants comme lui collectionne les tableaux, fera tourner la tête de Jean Walter, prestigieux et novateur architecte qui divorcera pour elle. Ils feront ménage à trois. Scandaleuse, on vous disait. Elle adoptera un enfant, acheté chez une vendeuse de mômes à Pigalle, mais simulera une maternité pour ne pas perdre l'héritage de Paul. Un héritage, il faut l'avouer, conséquent, constitué d'une bien belle collection de peinture. Des Renoir, des Picasso, des Soutine, et bien sûr des Modigliani.

Pour parfaire le tableau, la belle héroïne est soupçonnée d'avoir laissé mourir ses deux conjoints. Paul Guillaume en ne l'hospitalisant pas à temps pour soigner une péritonite et, Paul Walter en refusant qu'une ambulance le conduise à l'hôpital, préférant la voiture du docteur Lacour, lui aussi son amant. Laisser mourir n'est pas assassiner ! Quelques années plus tard, elle aurait tenté de faire disparaître son fils adoptif qu'elle ne supportait pas.

Arrêtez, n'en jetons plus, le portrait est complet. Démoniaque, fascinante, menteuse mais libre. La vie romanesque de Domenica nous plonge dans le Paris des années folles, de Montmartre à Montparnasse quand l'on croise dans leurs ateliers ou aux bistrots Soutine, Picasso, Modigliani ou Appolinaire. La belle époque d'une belle sulfureuse. En trois chapitres, les auteurs donnent la parole à Paul Guillaume, à Jean Walter et à Paulo, le fils maudit, trois voix qui racontent l'insupportable mais attirante Domenica.

Paul Guillaume assis dans un fauteuil en rotin 16 avenue  de Villiers à Paris (Dominique Couto)

Paul Guillaume exposé au Musée de L'Orangerie

Au côté de Domenica, le personnage principal est son premier amant. Paul Guillaume, lui aussi personnage romanesque. Pour mieux le connaître, rendez-vous au musée de l'Orangerie à Paris. L'exposition Amedeo Modigliani, un peintre et son marchand, permet de mettre un visage sur l'amoureux éperdu de Domenica. Peint par Modigliani, Paul Guillaume ne se faisait guère d'illusion sur l'estime que lui portait le peintre. Sous la plume des Raynal, il parle de son portrait ainsi. "J’en suis arrivé à détester ce petit bonhomme prétentieux qui sourit d'une bouche beaucoup trop rouge au-dessus d'une notice qui pourrait bien n'être que publicitaire."

S'il n'était pas naïf, Paul Guillaume fut même un marchand perspicace, ami de Max Jacob, mécène et visionnaire de l'art moderne des années 1910. À travers l'exposition et le roman, visiteurs et lecteurs plongent dans ces années de bouillonnante créativité. Quand les arts africains inspirent la révolution picturale, quand les artistes sans le sou et sous alcool inventent un langage qui bouleversera le 20e siècle. Domenica, surnommée la Veuve Noire de l'art, l'amante libre et démoniaque et Paul Guillaume, le précurseur à l'affût des nouveaux talents, furent deux des personnages extraordinaires de cette épopée.

Paul Guillaume peint par  Amedeo Modigliani 
1915
Huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté (© RMN-Grand Palais (Musée de l'Orangerie) / Hervé Lewandowski)

Extrait : La rencontre de Paul Guillaume et Domenica

"Elle a rougi et m'a regardé longuement, au point que je me suis demandé si je n'avais pas poussé le bouchon un peu loin. De quoi dois-je convenir, cher Paul ? D’avoir su forcer ma chance en quittant Millau et une famille aidée pour venir chercher fortune à Paris ? Ou d'avoir su vous attraper, vous, au moment où vous passiez ? À mon tour de rougir. Pour la première fois, j'ai senti l'éclat dur de l'émail derrière le sourire de l'ingénue et je me suis soudain vu comme un petit coq qui, contre toute attente, gonfle ses plumes devant l'oiselle tout à fait consciente de la situation. Qui se préparait à croquer qui ? J'ai mis beaucoup de temps, trop sans doute, à répondre à cette question."

Couverture du roman de Patrick et Emmanuel-Alain Raynal "Domenica" (Albin Michel)

Domenica, chez Albin Michel 237 pages 19,90 Euros

L'exposition : Amedeo Modigliani, un peintre et son marchand. Musée de l’Orangerie Niveau -2, Espace d’exposition temporaire 20 septembre 2023 – 15 janvier 2024

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