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Entrez dans le monde savoureux de Michel Guérard avec "Mots et mets", son abécédaire gourmand et littéraire

Michel Guérard, précurseur dans les années 70 de la "nouvelle cuisine", vient de recevoir pour la quarantième année consécutive trois étoiles au guide Michelin avec son restaurant "Les Prés d'Eugénie". 84 ans et toujours au fourneau, il publie "Mots et mets", un abécédaire gourmand dans lequel il partage son amour de la cuisine et quelques secrets et recettes qui ont fait son succès.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
Michel Guérard dans son restaurant "Les prés d'Eugénie, dans les Landes (septembre 2013)
 (NICOLAS TUCAT / AFP)

"Cuisiner, c'est marier savoureusement matière et mémoire", c'est avec cette citation que le chef à la plus grande longévité d'étoiles ouvre l'appétit du lecteur. Dans cet abécédaire "gourmand et littéraire", il égrène les mots et revendique une cuisine faite avant tout de liberté, de poésie et d'amour.


Amour : le cuisinier puise toute son énergie dans le mot Amour. En lui règne le désir inassouvi d'exprimer toutes les saveurs de sa sensibilité, d'émouvoir pour tenter de plaire et se sentir aimé".

"Produit : Les produits sont au cuisinier ce que les mots sont au romancier, les couleurs à l'aquarelliste, les notes de musique au compositeur, ils lui permettent d'exprimer toute sa sensibilité inventive, à fleur de peau. C'est ainsi que Mozart se plaisait à écrire sa musique avec des notes qui s'aiment."

 

Une grand-mère cuisinière et pâtissière

Ce livre est aussi un recueil de confidences, de souvenirs. Le cuisinier y chante son amour pour son épouse Christine, ingrédient essentiel à son bonheur et à sa réussite. Un amour qui a pris racine dans "Les Prés d'Eugénie, leur restaurant, qu'ils ont voulu ensemble "lieu merveilleux de la gastronomie et du bien-être". "J'ai longtemps attendu mon soleil", écrit-il en 1987, "et aujourd'hui encore j'ai peine à croire qu'un soleil aussi flamboyant ait subitement choisi d'irradier la petite particule d'étoile que j'étais alors".

"Mots et Mets" est aussi un voyage dans les enfances du chef : Vétheuil, le village tout proche de Giverny, où il est né, une grand-mère pâtissière et cuisinière, "tout naturellement douée pour cette discipline". Une grand-mère et une mère qui ont été, "l'une et l'autre, vraisemblablement les ferments" de sa vocation. Il raconte aussi comment dans la boulangerie du village il se précipita un jour sur "un gâteau (le plus gros) dégoulinant de crème blanche", qui s'avéra être un vol-au-vent à la reine rempli de cervelle… "Ma fébrile carrière de gourmet en herbe faillit s'interrompre à jamais". Heureusement, une "belle dame" lui offrit deux éclairs pour le prix d'un"... (Ouf !)

"Petit Lenôtre en culotte courte"

Juste avant la guerre, le garçon part vivre en Normandie, à Pavilly, où les parents "tiennent boucherie" : longs trajets pour aller à l'école, tâches domestiques, devoirs et "lavage méticuleux des tripes dans la rivière glacée", privations dues à la guerre... C'est aussi le temps de la pêche à la truite (à la main, "en les chatouillant sous le ventre"), des truites qu'il offre à Monsieur Perrot, pâtissier, pour le remercier de l'avoir initié à l'art de la meringue. "C'est l'époque où je m'étais fait une réputation, non usurpée me semble-t-il, de petit Lenôtre en culottes courte".

C'est à Pavilly aussi que Michel Guérard confie avoir connu son premier "grand émoi gastronomique" : un repas dégusté chez des amis de ses parents qui avaient fait appel à un cuisinier. "Cet homme calme, au visage serein, presque angélique, aux gestes élégants et précis, nous confectionna un repas de prince, façon Escoffier, dont je ne perdis pas une miette tout le temps de sa préparation". Michel Guérard avoue avoir toujours "conservé, près de lui", le menu de ce "mémorable déjeuner, écrit délicatement à la main".
 
On voyagera aussi vers Mantes La Jolie, où Michel Guérard fait son apprentissage chez le pâtissier traiteur Kléber Alix, "dont les méthodes, clairement héritées du XIXe siècle", se révèlent pour le jeune adolescent qu'il était "rudes et glaciales comme le silex". Michel Guérard lui rend cependant hommage. "Je garde pourtant de mon maitre, brusque et maladroit, mais au fond chaleureux et passionné, une reconnaissance éperdue pour m'avoir façonné en homme." Puis Cherbourg, la Marine nationale. Michel Guérard ne rate pas une occasion d'améliorer le quotidien : chargé du petit déjeuner des officiers, il investit dans un moulin à café dernier cri, "tout droit sorti du dernier salon parisien des arts ménagers", qui en plus de réaliser des économies, "améliore sensiblement la qualité du jus filtré".

"Nouvelle cuisine"

Quelques sauts de puces à Paris et dans ses environs : à l'Hôtel Crillon, d'abord, où Michel Guérard se retrouve malgré son jeune âge "pâtissier en chef", où il est confronté à "un bizutage de potache de la part des cuisiniers qui nourrissent un certain mépris pour son honorable profession". Ce sont pourtant les mêmes qui plus tard l'initieront à la cuisine de palace, le préparant à son "basculement vers la cuisine tout court". Michel Guérard se souvient de mises en scène de tables mémorables, "telle cette somptueuse fête, donnée par le président Coty, au château de Versailles, en l'honneur de la reine Elizabeth II".

Le futur chef, "petit provincial que j'étais encore", découvre les joies de la vie parisienne, vie de bohème, dans laquelle il croise des artistes d'avant-garde, qui l'invitent à parler de cuisine et de son histoire. Puis il officiera au Lido, avant de traverser le Pont de Clichy pour ouvrir en 1965 son "premier et modeste bistro acheté pour trois sous à la bougie", et baptisé le "Pot au feu", où il lance ce que les critiques appelleront la "nouvelle cuisine", qu'il sert à une clientèle hétéroclite, qui mêle syndicalistes, voyous et jet-set internationale.
 
Michel Guérard nous emmène aussi sur les routes des Etats-Unis, en Australie, en Chine, mais c'est à Eugénie-les-Bains que le chef pose ses valises, en créant avec sa femme "Les Près d'Eugénie", établissement qui lui a depuis valu quarante ans d'étoiles au Michelin, et que Christian Millau qualifia d'"oasis de plein bonheur, joliment située au milieu de nulle part". 

Voilà un livre qui se déguste avec gourmandise, où l'on apprend que la cuisine est plus affaire de bonheur, de plaisir, que de technique. Avec en bonus (miam), quelques "drôles de recettes" du chef, cocasses et alléchantes : "Oh purée, quelle carotte !", "Croustillant ensolleillé", "Feuillantine de poires caramélisées", "Frites molles à la Dali", "Lotte pisse-vinaigre" ou "Poireaux innocents"...
 
"Mots & Mets, abécédaire gourmand et littéraire", Michel Guérard (Seuil - 143 pages - 17 €)

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