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"Comme un musulman en France" : la lettre d’amour à la France du réalisateur Ismaël Saidi

Il y en a qui parlent, qui théorisent, qui analysent… Le dramaturge belge Ismaël Saidi lui, parcourt les villes et les villages de l'hexagone depuis 5 ans avec sa pièce, "Djihad", reconnue d’utilité publique par l’Education nationale. C’est ce parcours et toutes ces rencontres qu’il raconte dans son dernier livre, "Comme un musulman en France".

Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'auteur Ismaël Saidi (@ Karine Darjo)

C’est l’histoire d’un petit garçon de six ans s’apprêtant à dévorer un bout de jambon à la cantine, et qui s’arrête net face au cri de son camarade : "N’en mange pas, sinon tu iras en enfer !" Une phrase qui effraie l’enfant : "Et les copains qui en mangent alors ? Ils vont aller en enfer ?"

Depuis, le petit gamin de la banlieue bruxelloise a grandi, est devenu scénariste et dramaturge. Depuis 2015, il tourne partout en France avec une pièce intitulée "Djihad", qui provoque le débat dans chaque salle avec le public. Une pièce reconnue d’utilité publique par l’Education nationale, pour prévenir la radicalisation.

Des échanges à bâtons rompus

Ismaël Saidi sait de quoi il parle : musulman pratiquant, il a vu croître le communautarisme depuis trois décennies, que ce soit en Belgique ou en France. Alors, inlassablement, il s’est donné pour mission de faire tomber les barrières, d’aller à la rencontre des uns et des autres, dans des lieux divers et variés : une prison, un collège, une MJC (Maison des jeunes et de la culture), la salle des fêtes d’un village de montagne …

Et avec une grande patience, il écoute, et répond. Il devient le réceptacle des doléances, des peurs, des angoisses, parfois même des haines de son public, lors de séances de questions-réponses à bâtons rompus sans tabou et sans gêne. En racontant toutes ces anecdotes, Ismaël Saidi passe vite sur les "irrécupérables" qu’il croise : cet homme radicalisé condamné pour une peine lourde en prison, cet autre qu’on devine fondamentaliste, hostile face à son équipe qu’il reçoit pourtant. Ce qui l’intéresse, c’est l’entre-deux. Cette lycéenne, issue d’une famille musulmane pratiquante, qui vient, regonflée à bloc après son spectacle, lui annoncer qu’elle fera son coming out à sa famille, et pour laquelle il ne peut que croiser les doigts. Cette mairie, à côté de Paris, qui l’accueille avec un repas halal et sans alcool, et à qui il fait remarquer avec beaucoup d’humour que ce sont à ceux qui ont des croyances de s’adapter au monde, et non l’inverse. L’enfer, toujours pavé de bonnes intentions… 

Évidemment, il aborde tous les thèmes, et les caricatures n’y échappent pas. Encore et toujours, il fait preuve d’une grande patience et d’une immense pédagogie pour expliquer la différence entre incitation à la haine et liberté d’expression. Chaque petite lueur allumée dans le regard de ses interlocuteurs, surtout des jeunes, est un espoir qui le fait avancer. Là, comme dans les villages où l’extrême-droite fait des scores élevés, il intervient avec la même devise : parler, échanger, pour amener les gens à la rencontre de la différence, faire tomber les barrières.

La résistance à la fatalité

Ismaël Saidi raconte aussi son enfance dans la banlieue de Bruxelles, celle d’un gamin attachant et futé qui trouve un moyen pour obtenir la protection des caïds du collège : écrire leurs rédactions et résoudre leurs équations … Un parcours guidé par un appétit de connaissance qui ne le quitte pas, aujourd'hui adulte, avec une volonté de rendre à présent cette main tendue qu’il a saisie à différents moments de sa vie.

Lutter contre les discriminations, pour lui, c'est d'abord ôter de la tête que ces discriminations, qui existent certes, vont forcément arriver. Et Ismaël Saidi d'expliquer très simplement comment un discours victimaire finit par devenir une prophétie autoréalisatrice. "Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité", écrivait le poète René Char, "tu connaîtras d'étranges hauteurs" ... 

Cela ne l’empêche pas, avant de s’endormir parfois, de faire des crises d’angoisse quand il regarde le monde tel qu’il va. Son remède, toujours le même : reprendre son bâton de pèlerin pour faire ce qu’il sait très bien faire : aller à la rencontre des gens pour combattre l’intolérance. Et écrire des livres d'utilité publique. 

"Comme un musulman en France", de Ismaël Saidi, paru le 13 janvier 2021 aux éditions Autrement, 192 pages, 15€.

Couverture de "Comme un musulman en France", d'Ismaël Saidi (@ éditions Autrement)

Extrait : "Dans le ghetto communautaire, tout est bon pour scinder et creuser le fossé. Et tout est bon pour repérer la brebis galeuse qui veut sortir du rang.
Aussi, dire "bonjour" dans notre propre langue, à savoir le français pour nous qui vivons dans un espace francophone, était devenu exclu car on en avait fait la langue du "mécréant". Il fallait, pour se différencier et faire partie du groupe, dire bonjour de la même manière que le Prophète le faisait.
Et d'après les écrits, il disait "Salam Alaykoum wa rahmatoullah", ce qui signifie "Que la paix soit sur vous ainsi que la miséricorde de Dieu"
Bien sûr, personne ne s'est dit que s'il saluait en arabe, c'est parce qu'il était arabophone et que, s'il avait été russe, il l'aurait sûrement fait en russe. Personne ne s'est dit non plus que, dans les pays du Maghreb, on se salue en disant "Sbah el kheir", qui signifie "que ce matin vous soit plein de bonnes choses", ou qu'en Indonésie, le plus grand pays musulman au monde, on dit "Salamat Pagi", qui veut dire à peu près la même chose. Bref, aucune notion religieuse dans le fait de se dire bonjour ou de se serrer la main. 
Sauf en France ou en Belgique : la religion et le communitarisme qui en ont découlé se sont enracinés bien plus qu'on ne pense, et la séparation commence très tôt : dès le premier mot."

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