Falmarès, l'étonnant "réfugié poétique" qui enthousiasme Saint-Malo

Le jeune poète guinéen Falmarès, auteur à 22 ans de cinq livres, rencontre un certain succès. Portrait d'un prodige pressé.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Le poète Falmarès au Festival des Etonnants voyageurs à Saint-Malo, le 18 mai 2024. (Mohamed Berkani)

"Il faut lui acheter des livres", recommande Emmanuel Khérad, l’animateur de la célèbre émission La librairie francophone, qui doit disparaître la saison prochaine de la grille de France Inter. "Je viens de lui en acheter huit", répond un client. Et de montrer son sac. Le "réfugié poétique" sourit de ces encouragements. Une file se forme ce samedi 18 mai après-midi pour les dédicaces de l'ouvrage Catalogue d’un exilé (Flammarion) au Salon du livre du festival des Étonnants voyageurs. "C’est un miracle", s’extasie une cliente qui précise qu’elle anime un cercle de poésie dans une association bretonne. "Il est bien le seul poète à vendre des livres", dit-elle. 

Les miracles

Le miracle est ailleurs aussi. Falmarès, poète guinéen installé à Nantes depuis 2017, vient de loin. Au milieu de la cohue du Salon, il prend le temps de répondre aux lecteurs entre deux signatures. Aujourd'hui, à 22 ans, il savoure sa nouvelle notoriété et sa liberté. Mais aussi sa survie. Il quitte sa Conakry natale à quinze ans et se retrouve seul, désargenté dans les rues de Tamanrasset, à l'extrême sud de l'Algérie, sans un dinar en poche. "Un monsieur s'arrête et me demande ce que je fais dans la rue, seul sous la pluie. Je lui réponds que je cherche un toit et à manger. Il me dit de monter dans sa voiture, direction Alger."

Le miracle est aussi une rencontre. "Le premier livre que j'ai lu c'est celui d'Amadou Hampâté Bâ, c'est ce monsieur qui m'a fait découvrir cet auteur." L'homme d'affaires algérien l'initie à la littérature et... à la maçonnerie. Falmarès se retrouve dans l'un des six chantiers de son sauveur "en compagnie d'Algériens, de Maliens, de Guinéens et d'Ivoiriens". Au bout de six mois et de nombreuses lectures, le jeune Guinéen rêve toujours d'Europe. L'entrepreneur algérien ne le paie pas mais le met entre les mains de passeurs pour rejoindre l'eldorado fantasmé. "Il a voulu peut-être m'aider. Nous avons traversé la frontière libyenne, allongés dans un camion, cachés sous une bâche."

L'enfer libyen 

Les candidats à l'exil se retrouvent à Sabratha, à 70 kilomètres à l'ouest de Tripoli. S'ensuivent deux mois d'enfer. "J'ai failli mourir plusieurs fois. J'étais souvent malade, j'étais peu conscient de mon environnement. J'ai survécu", confie-t-il pudiquement, refusant d'entrer dans les détails. À ce moment-là, il lève les yeux et crie d'une voix pleine de joie : "Dany, Dany !". L'écrivain d'origine haïtienne Dany Laferrière s'arrête au stand. Le jeune poète et l'académicien font connaissance. "Je suis très ému de vous croiser, j'ai toujours voulu vous rencontrer. Vous ne pouvez pas savoir ce que cela représente pour moi." Un peu gêné par tant d'éloges et pour venir en aide à son admirateur qui a perdu ses mots, Dany Laferrière lui propose de faire plus ample connaissance plus tard. Falmarès ne cache pas son émotion : "Le premier livre que j'ai lu en arrivant en France, c'est Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, le premier livre de Dany."

Le poète Falmarès avec Danny Lafarrière au Festival des Etonnants voyageurs à Saint-Malo, le 18 mai 2024. (Mohamed Berkani)

Le Salon du livre ne désemplit pas. Le rescapé de la Méditerranée - le zodiac dans lequel il a rejoint la Sicile depuis la Libye avec 180 personnes a été secouru par la Croix-Rouge et la Croix-Blanche - laisse les souvenirs remonter. "Dans la mer, on voyait des cadavres partout lors de notre traversée." Aujourd'hui, "sauvé par la poésie", il entend ne pas oublier les morts, ni les vivants. Son identité est plurielle.

Sauvé par la poésie

En attendant de vivre pleinement de sa passion, il assure des missions en intérim dans le secteur de la logistique. "Mais depuis trois mois, je suis très sollicité pour participer à des évènements culturels." Un petit regret peut-être : ne pas pouvoir partager sa renommée et son succès avec ses compatriotes. Pour l'instant, la presse guinéenne, contrairement aux médias internationaux, n'a pas encore évoqué le poète aux cinq livres. "Je ne suis ni footballeur, ni chanteur." Comme de nombreux poètes et écrivains africains, son lectorat se trouve en Europe, en France notamment. 

En homme pressé, très sollicité, Falmarès termine sa séance de dédicaces, remet sa veste et court vers le théâtre Chateaubriand pour une lecture de ses poèmes.

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