Festival Étonnants Voyageurs : les émouvantes retrouvailles des "étonnants spectateurs" avec leur Café littéraire à Saint-Malo
Le Café littéraire, véritable institution du Festival Étonnants Voyageurs, a retrouvé son public ce samedi matin à Saint-Malo. Des retrouvailles chargées d'émotion après deux ans de privation pour cause de Covid, et en l'absence de son fondateur, Michel Le Bris, disparu en 2021.
Ce samedi matin un peu avant l'ouverture, nous avons rendez-vous au Palais du Grand Large à Saint-Malo (Ile-et-Vilaine) avec Maëtte Chantrel pour parler du Café littéraire, cette institution du Festival Étonnants Voyageurs. Elle arrive, élégante dans un chemisier fleuri, un trait de rouge à lèvres, traînant derrière elle une valise rouge qui semble peser des tonnes.
Maëtte Chantrel anime ce rendez-vous incontournable du festival depuis la toute première édition, en 1990. Elle est en larmes. "Je viens d'arriver, et j'ai vu toute cette foule en entrant dans le Palais (du Grand Large), toute cette foule, qui est là, qui attend. Je n'avais pas vécu cela depuis deux ans à cause du Covid. Et puis je pense à Michel", lâche-t-elle la voix cassée par l'émotion. Michel, c'est Michel Le Bris, disparu en janvier 2021, fondateur avec elle et d'autres de ce festival pas comme les autres, lancé il y a 32 ans. "On a intérêt à être à la hauteur", souffle-t-elle en séchant ses larmes.
"Un endroit où il y aurait toujours de la lumière"
"Les habitués ne sont pas là ?", interroge-elle stressée. "Ça fait plus de trente ans et j'ai toujours le trac", confie-t-elle en ouvrant sa valise pleine de livres. "C'est un gros travail. Dans les semaines qui précèdent le festival, il faut lire en permanence, le jour, la nuit, tout le temps. Je ne prépare jamais mes questions à l'avance. Je mets des post-it dans les livres, je prépare les biographies des auteurs, mais juste avant que le premier plateau commence, j'ai l'impression de ne plus me souvenir de rien, d'avoir tout oublié", raconte Maëtte tout en réglant les derniers détails avec l'équipe technique.
"Et puis quand ça démarre ça y est, le trac c'est fini, c'est parti." Ce Café littéraire est le centre névralgique du festival. "Un lieu que nous avons voulu ouvert, dès le début, avec Michel Le Bris et les autres", se souvient Maëtte Chantrel. "L'idée était de faire de ce café littéraire un endroit qui circule, un endroit où il y aurait toujours de la lumière, où les gens pourraient entrer sortir comme bon leur semble, et puis l'idée était de vraiment en faire un lieu dédié aux livres", explique-t-elle. Un lieu d'échange, de rencontres, qui a vu passer tout ce que la littérature mondiale compte de plus précieux.
"Tous les cafés littéraires ont été filmés depuis le début, on peut les retrouver sur le site du festival", se félicite Maëte Chantrel. C'est au tour de Mélani Le Bris, co-directrice et fille du fondateur, d'arriver. "Les habitués sont déjà là", remarque-t-elle d'une toute petite voix étouffée par l'émotion.
Les "étonnants spectateurs"
Ils sont bien là les habitués, postés devant la porte d'entrée, dans les starting-blocks. "Ça commence à 10h30 mais on est arrivés à 7 heures, pour être les premiers", chuchote Mary-France. À côté d'elle, Jean-Michel opine du chef, sourire radieux. "Je viens depuis trente ans avec mon mari. On vient en camping-car et on essaie de se garer pas trop loin du Palais", raconte Mary-France.
Ils sont là chaque année, spécialement pour le café littéraire. "On ne fait que ça. On arrive tôt le matin, on s'installe, on réserve une table, et on ne bouge plus. On reste là du matin au soir", confie Jean-Michel. "Au début, quand on venait au festival, on regardait le programme, on cochait et on essayait d'aller aux rencontres, aux tables rondes, dans les différents lieux du festival, mais on s'est rendus compte qu'on loupait beaucoup de choses, même en arrivant de bonne heure", se souvient Mary-France. "Alors on a décidé de rester dans le café."
Une bonne stratégie selon eux, puisque presque tous les auteurs passent sur le plateau à un moment ou à un autre du festival. "On voit une soixantaine d'écrivains sur les trois jours", explique Patrick, le mari de Mary-France, aussi mordu que son épouse. "On est tellement accrochés qu'on nous a surnommés les étonnants spectateurs", s'amuse Mary-France.
"On ne lâche pas la table"
Cette année encore ils ont décroché la meilleure place : une table du premier rang, pile en face du plateau. "C'est notre table", s'amuse Jean-Michel, "tous les ans on est là", ajoute-t-il. C'est ici qu'il a rencontré Mary-France et Françoise, une autre habituée absente cette année. "La première année on s'est dit bonjour de loin, l'année suivante on a commencé à discuter, et de fil en aiguilles on est devenus amis", se souvient Mary-France. "Maintenant on a nos rituels. Le lundi soir on se fait un petit restaurant, c'est la récompense, et le mardi on va manger des huitres à Cancale, vous savez là, sur la plage, on mange les huîtres et hop on jette les coquilles sur la plage !", raconte, gourmand, Jean-Michel.
Entre midi et deux, le café littéraire fait sa pause, mais pas la petite bande de Mary-France. "On ne lâche pas la table. On prend des sandwichs, et on se relaie pour aller faire un tour au salon du livre parce que forcément quand on entend tous ces auteurs on a envie d'aller acheter des livres", raconte Mary-France. Ici elle prend aussi des notes, et des photos. "À la fin du festival, je les envoie à Maëtte", dit-elle. Ici tout le monde les connaît, et ils connaissent tout le monde. "Il y a quelques années, on a même offert un foulard à Maëtte pour son anniversaire", confie Mary-France.
"Nous on varie les plaisirs"
Yves et Géraldine sont aussi des habitués. "On vient depuis 20 ans. On reste là toute la journée aussi, mais on arrive toujours après eux là", dit-elle en désignant le petit groupe de Mary-France, une pointe de jalousie mêlée d'admiration dans l'œil. "Ce qu'on aime particulièrement, c'est la découverte de la littérature mondiale, comme les auteurs africains par exemple, et puis il y a la mer", ajoute rêveuse Géraldine.
Plus loin, Madeleine et Bernard, deux vieux amis : "Nous on varie les plaisirs. On commence par le café littéraire, mais ensuite, on aime bien aller voir autre chose", raconte Madeleine, qui n'a pas raté une seule édition du festival depuis sa création. "C'est un peu la solution de facilité de rester 72 heures les fesses sur une chaise, mais bon chacun fait comme il veut", ajoute Bernard.
"Ce qui nous plaît au café, c'est la rencontre avec les auteurs", insiste Mary-France. "On a fait des découvertes, avec la littérature du monde entier, d'Afrique, de Pays baltes, de Russie, et des rencontres extraordinaires. Ici on a vu Théodore Monod, Edgard Morin, Michel Serre, Luis Sepulveda et Hubert Reeves… Il s'est même assis à côté de nous", se souvient-elle. "On était fiers", renchérit Jean-Michel. "On a même vu Dany Laferrière arriver sur le plateau pieds nus, il revenait de la plage et n'avait pas remis ses chaussures", se souvient Patrick.
"Ma langue est poésie"
Intarissables, ces "étonnants spectateurs". Ils pourraient continuer à parler de leur passion pour le Café littéraire pendant des heures. Mais il est maintenant 10h30, et le premier café littéraire de la journée commence.
Maëtte Chantrel, à l'aise comme un poisson dans l'eau, introduit son premier plateau de la journée : "Ma langue est poésie". On découvre avec émerveillement les mots du poète breton Yvon Le Men qui présente son dernier livre Les Épiphaniques qui a servi de socle au travail de mise en scène de Massimo Dean pour un spectacle intitulé Le Rance n’est pas un fleuve, joué au Théâtre national de Bretagne en mars dernier.
Un travail au long cours entrepris avec "des gens de la marge", douze hommes et femmes, rencontrés dans un cadre associatif, êtres à la marge, accidentés de la vie, dont le poète a capté des fragments d'histoire. Des mots et un spectacle pour "éclairer les angles morts de la société", souligne le metteur en scène italien.
Lectures de poèmes, petit extrait du spectacle, la magie du Café littéraire opère. On est soudain projeté dans le monde des mots et de la littérature. On comprend mieux l'engouement de Maëtte Chantrel, de Mary-France, de Jean-Michel, de Patrick et de tous ces inconditionnels du Café littéraire, ce lieu aussi stratégique que magique du Festival Étonnants Voyageurs.
Festival Étonnants Voyageurs
Du 3 au 6 juin 2022
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.