Georges Walter, si vous l’aviez croisé…
Et si vous l’aviez croisé, il vous aurait conquis. Et Georges Walter le savait. Car dès le premier regard, cet homme là impressionnait son monde. Il était d’abord l’élégance d’un profil de monnaie romaine. Sous la chevelure bouclée blanche, la ride dessinait cette tête d’empereur. Son père avait d’ailleurs bel et bien fréquenté les impériales personnes, puisque durant la grande guerre, l’horloger qu’il était avait réparé la montre de Charles 1er, ultime souverain d’Autriche et de Hongrie.
Georges Walter, hongrois d’origine, fils de Zoltan, régna lui, sur Saint Germain des Près. Il habitait une île (celle de Saint Louis à Paris ) et franchissait le Pont Louis Philippe toujours d’un pas déterminé, malgré ses plus de 90 ans. Il gagnait le restaurant du même nom sans avoir à commander le café matinal, sa seule présence suffisait. Georges saluait tout en jouant au bougon. La tenue de cet homme était aussi recherchée, presque celle d’un dandy. Le gilet faisait l’objet de toute son attention, et Georges finissait par répondre à votre curiosité qu’il en avait effectivement toute une collection.
L'élégance de la voix
Si vous lui aviez parlé, il vous aurait conquis. Car il était aussi l’élégance de la voix. Une incroyable tessiture claire et magnifiquement timbrée jusque dans les graves. De légères sifflantes donnaient à chacun des mots prononcés, une préciosité discrète. Le charme agissait et Georges le savait. Il affectait une modestie triomphante. Et l’album d’une vie s’ouvrait au fil des minutes de la conversation.
Kessel était le premier à s’inviter à cette table qui commençait à flotter au-dessus du sol, tant les esprits affluaient. Après l’ami, le compagnon Kessel, Jeff comme l’appelait celui qui s’en voulait parfois d’être seul survivant de tant d’autres connaissances disparues, il y avait les autres rencontres. Pas seulement avec des personnes, mais aussi avec celles qui avaient fait se côtoyer Georges et le son ou l’image.
Radio Luxembourg (l’ancêtre de RTL) dans les années soixante, Georges Walter journaliste, fait le récit de l’info via les transistors de l'époque. La voix certes, et la précision, la curiosité, la colère aussi, contenue mais présente, élégante comme le reste. La télévision dans les années soixante dix. Présentateur de journal télévisé, malgré lui disait il, « franchement je n’aimais pas cela ».
A l'Express, au Figaro, grand reporter, Walter était un portraitiste qui aimait ceux qu’il croquait. Il pouvait également griffer ceux qu’il venait interroger. Ainsi, en 1969, le magazine Panorama l’avait envoyé dans l’Aisne à propos d’un fait divers qui mettait en cause une famille de riches propriétaires terriens, les Duguet. Une petite fille avait été enlevée et rendue aux parents moyennant rançon. Après quatre jours d’incertitude, du statut de victime, la famille passa à celui de suspect.
Georges Walter découvrit que les ouvriers agricoles employés dans la ferme subissaient de mauvais traitements, littéralement mis en cage affirmait-il. L’affaire fit scandale. Les premiers mots du commentaire du journaliste avaient d’emblée planté le décor dans un style inégalé. « Ce village du Soissonnais en forme d’arête de poisson, c’est Saint-Bandry…Même pas 300 habitants… Ce pays a quelque chose d’impénétrable. Les maisons vides ont l’air aveugle…».
Journaliste et écrivain
Cette fois, pour l’émission le « 4e lundi » en 1971, il avait réalisé un documentaire consacré à la disparition des halles de Paris. En ouverture, Georges Walter parlait d’une ville dans la ville, et d’ajouter : « 800 ans qu’elle répand son odeur, l’odeur de la sueur de Paris avec le crottin et le poisson, le cerfeuil et la violette, les fruits qui pourrissent à midi, le sang, le vin. 800 ans que cette ville dans la ville ne dort pas la nuit. » Preuve s’il en fallait que Georges Walter était un écrivain.
Si vous l’aviez lu, vous auriez été l’un de ses fidèles. D’ailleurs ce fut le cas pour bon nombre de lecteurs en 1975. « Le palanquin des larmes » a été un énorme succès. Porté au cinéma, c’est le récit autobiographique d’une jeune chinoise marié de force à Shanghaï à l’âge de 13 ans. A la fois œuvre littéraire et témoignage, c’est Georges Walter qui avait rédigé ce texte préfacé par l’ami Kessel.
L'écriture constituait « la » passion de cet homme qui participa aussi à la popularisation des œuvres littéraires via l’émission de télévision « Italiques » au début des années 1970, l’ancêtre de « l’Apostrophes » de Bernard Pivot.
Georges Walter est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages. Il a croisé Cioran, Resnais, Brassens, Ionesco, Gracq… Tous artistes dans l’art du mot. Mais Georges s'est particulièrement penché sur Edgard Allan Poe, au point de lui consacrer une biographie en forme d'enquête. La mystérieuse destinée de l’écrivain américain l’avait intrigué au plus haut point. Après un livre, il rêvait d’en faire un film. "Quel est donc le mystère de cet homme ? Que cache sa mort ?" questionnait Georges Walter. A n’en pas douter, s’il prend un café aujourd'hui avec Poe au paradis des grands narrateurs, l’auteur du double assassinat dans la rue Morgue, ne pourra résister au feu charmant des questions du journaliste.
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