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Imaginaire : un "mauvais genre" littéraire à haut potentiel

Populaire chez les jeunes, adapté avec succès au cinéma, l'"imaginaire" est un genre littéraire à fort potentiel. Pourtant, les éditeurs du secteur déplorent un manque de visibilité dans les médias et dans les librairies. En cause, des préjugés collent au genre et freinent un élargissement du lectorat. Enquête auprès des professionnels du secteur.
Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (JENS KALAENE / DPA / dpa Picture-Alliance)

"L'imaginaire est peu considéré en France." Pour Stéphane Marsan, directeur des éditions Bragelonne, le constat est sans appel. La littérature "imaginaire", souffre d'une mauvaise réputation. "En France, la légitimité littéraire va au réalisme. On n'imagine pas une œuvre d'imaginaire remporter le prix Goncourt par exemple", ajoute l'éditeur.

Pour rassembler plusieurs sous-genres sous même étiquette, les éditeurs ont créé il y a quelques années l'appellation "imaginaire". "Le terme 'imaginaire' recouvre l'ensemble de ces 'mauvais genres' que sont la science-fiction, la fantasy, le fantastique, de même que diverses fusions de ces genres", soulignent les jurés du Grand prix de l'Imaginaire, la récompense la plus prestigieuse du secteur. "Déjà en 1974, lors de la fondation du Grand prix, la littérature de genre ne figurait pas sur les listes des prix littéraires et était donc invisible", indique Joëlle Wintrebert, auteure et présidente du jury. "Les éditeurs sont contents d'avoir ce prix, même si ça n'est pas équivalent à un prix Goncourt", ajoute-t-elle. Car cette initiative se heurte à un problème plus profond : les livres d'imaginaire souffrent de préjugés qui ont la vie dure.

Des œuvres pour adulte dans les rayons jeunesse

"Histoires pour enfants", "pas sérieux", "trop pointu", les libraires sont conscients de cette réputation. "L'imaginaire est considéré comme étant en marge, et non comme de la vraie littérature", explique Elodie Murzi, libraire à "Ici", une nouvelle librairie située sur les Grands Boulevards à Paris. Pour Davy Athuil, directeur des éditions Mü, il y a un problème de communication sur le genre, qui n'est pas assez présenté comme adaptable à tous les publics. "En France, le fantastique a été redirigé pour des adolescents pour des raisons marketing, et on en a oublié les grands auteurs, laissés pour un public d'initiés", explique-t-il. "On retrouve donc des œuvres pour adulte dans les rayons jeunesse." Un problème de positionnement qui empêche le public de s'élargir.

Un manque de visibilité

Premier symptôme de préjugés tenaces : une sous-représentation de la littérature imaginaire dans les librairies et dans les médias. "On estime que l'imaginaire représente environ 7% du marché de l'édition", indiquent Audrey Petit, éditrice et Laëtitia Rondeau, assistante d'édition au Livre de Poche. "Mais la visibilité dans les librairies et dans la presse est bien moindre, c'est loin d'être représentatif du marché", ajoutent-elles. 

Face à ce problème, plusieurs professionnels du secteur se sont rassemblés et ont lancé "Le Mois de l'imaginaire", une manifestation annuelle pour promouvoir cette littérature pendant le mois d'octobre. Leur objectif ? Lui rendre ses lettres de noblesse et mettre en avant les ouvrages dans les vitrines et sur les stands. Pour la deuxième année consécutive, le "Mois de l'imaginaire" a permis la mise en place d'une opération de promotion de grande ampleur dans les librairies françaises. Un moment important pour les éditeurs : selon Stéphane Marsan, l'événement aurait ammené une embellie sur les ventes pour les éditions Bragelonne.  

Un genre parmi les préférés des jeunes lecteurs

D'un point de vue commercial, l'imaginaire bénéficie pourtant d'un beau potentiel. Le genre est notamment très populaire chez les jeunes : selon une étude d'Ipsos pour le Centre national du livre (CNL) datant de 2016, "Harry Potter est le livre préféré à la fois par les filles et les garçons" de 7 à 19 ans. La littérature imaginaire est ainsi un des genres les plus appréciés par les lecteurs de romans de cette tranche d'âge (42%).

Cette appétence ne se limite pas à la jeunesse. "Le signal" de Maxime Chattam (Albin Michel), auteur français star de thriller et de fantastique, se situait au troisième rang des meilleures ventes FNAC du 5 au 8 novembre, après "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018) et "Le lambeau" de Philippe Lançon (Gallimard, 2018), respectivement prix Femina et prix Goncourt. "On peut dire que ça marche bien d'un point de vue commercial. On a aussi beaucoup de nouvelles maisons d'éditions qui se lancent", explique Elodie Murzi. "Le genre est soutenu par un socle de lecteurs spécialistes mais le public peut être beaucoup plus large. On le voit pour des phénomènes comme 'Game of Thrones' de George R. R. Martin ou des livres de Stephen King. Le cinéma est aussi un relais qui a permis de populariser le genre", ajoute la libraire.

Parmi les nouveaux venus dans le monde des éditeurs de science-fiction et de fantasy figure Albin Michel Imaginaire, nouvelle section de la grande maison d'édition. "Albin Michel était déjà sur la marché de l'imaginaire, mais plutôt grand public", explique Gilles Dumay, directeur des éditions Albin Michel Imaginaire. "Mais en créant une section spécialisée, on voulait publier de l'imaginaire plus pointu, avec des œuvres dans la trempe de 'Game of Thrones'".

"Regarder le monde d'aujourd'hui pour penser le monde de demain"

A côté du potentiel commercial, les éditeurs soulignent un potentiel intellectuel fort dans ce genre de littérature. De grands auteurs n'hésitent pas à s'en emparer, comme Michel Houellebecq, dans son roman d'anticipation "Soumission" (Flammarion, 2015) ou même Virginie Despentes dans sa série "Vernon Subutex" (Grasset). Mais pour ces oeuvres, l'appartenance au genre imaginaire n'est pas mis en avant. Pour Davy Athuil, c'est cette capacité de prospective qui rend l'imaginaire si important dans le spectre littéraire : "On a l'idée que l'auteur de science-fiction regarde le monde d'aujourd'hui pour penser le monde de demain."  

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