"Je tape la manche", un SDF se raconte avec la plume de Jean-Louis Debré
De "midi à minuit" voire davantage, Jean-Marie prend ses quartiers dans le très chic 8e arrondissement, près des Champs-Élysées. En semaine, il s'installe avenue Montaigne, devant les grilles de Chanel, un gobelet en plastique à ses pieds. "C'est mon petit endroit", explique-t-il à l'AFP. "Il faut se mettre dans des lieux stratégiques, là où il y a du passage."
Reportage: G. Daret, B. Girodon, M.Cargnino, L. Lavieille
Jean-Marie croit d'abord à une blague. "J'y croyais pas trop. Pendant longtemps j'ai rien écrit. J'avais peur, car je fais plein de fautes, j'ai pas été trop à l'école", dit-il. Mais il se prend au jeu, et finit par rendre, près de deux ans plus tard, trois cahiers.
'C'est magique l'humour'
"J'ai tout retranscrit, moi-même, sur mon ordinateur", assure M. Debré. "On s'est retrouvés régulièrement, soit dans un café, soit le soir au Conseil constitutionnel. J'essayais de lui faire raconter le plus simplement possible les différents épisodes de sa vie."Pour Jean-Marie, cette rencontre, "c'est comme si j'avais gagné au Loto". "On est devenu potes", dit-il, saluant un Jean-Louis Debré "d'une grande humanité" et racontant avoir "kiffé" lors de sa première visite sous les dorures du Palais Royal.
Résultat: un livre de 176 pages, publié mercredi chez Calmann-Lévy, "Je tape la manche", préfacé par le responsable gaulliste, dans lequel Jean-Marie raconte son enfance et sa jeunesse chaotiques, ses nuits à la rue, dans des squats ou des parcs, ses amitiés avec d'autres SDF mais aussi la concurrence et les bagarres pour défendre son territoire.
Assis sur un muret, il demande une pièce aux passants "pour la fashion week des clodos" ou "pour aller manger chez Joël Robuchon et dormir à l'hôtel Plaza". "C'est magique l'humour, pour la tape", confie-t-il. Devant lui défilent les riverains, des employés de bureau, des vendeuses des grandes enseignes, des touristes, des voituriers: "J'ai des habitués, des gens qui me connaissent et me donnent quelques pièces".
Aujourd'hui, "c'est devenu comme mon métier. J'ai l'expérience. Dans la rue, on apprend à évaluer les gens, on sait vite qui donnera ou ne donnera pas". "Je travaille sept jours sur sept, même quand il fait froid, même quand je suis malade. Il faut que je fasse mes 80 euros par jour, pour l'hôtel et la nourriture. Les journées sont longues et parfois infernales", reconnait-il.
Mais il apprécie de "regarder passer les belles femmes", "j'aime bien les taquiner", sourit-il. Quant aux "pisse-vinaigre" qui l'ignorent, il ne "les calcule plus", préférant se souvenir de ceux, anonymes ou célèbres, qui l'ont aidé.
Parmi eux, Robert Hossein, "l'homme le plus généreux au monde", qui l'a embauché comme figurant sur ses spectacles, ou Gad Elmaleh qui lui a fait tourner une scène dans le film Coco. A présent, Jean-Marie aimerait "ouvrir une crêperie". Mais il espère surtout que son livre permettra "d'attirer l'attention sur les SDF". "Et sur les femmes SDF", insiste-t-il. "Il y en a de plus en plus et c'est encore plus dur pour elles. Elles se font agresser, certains profitent de leur faiblesse. C'est scandaleux."
"Je tape la manche". Jean-Marie Roughol et Jean-Louis Debré. Calmann Lévy. 16€50
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