90 ans des albums du Père Castor : comment Paul Faucher a révolutionné les livres pour les enfants
Avec l'exposition "Père Castor, Histoires d'hier et d'aujourd'hui", la Galerie Gallimard à Paris fête la naissance, il y a 90 ans, de ces albums qui ont enchanté plusieurs générations d'enfants, avec 95 millions d’exemplaires vendus depuis 1931.
Les albums du Père Castor fêtent leurs 90 ans avec une exposition à la Galerie Gallimard à Paris et avec un livre, Paul Faucher ou l'aventure du Père Castor, une révolution éditoriale, une monographie consacrée à l'histoire passionnante du créateur de cette collection de livres pour les enfants.
"La vache orange, La grande panthère noire, Baba Yaga, Apoutziak… On a tous une histoire du Père Castor dans le cœur", commence Bénédicte Roux, directrice littéraire du Père Castor (Flammarion). L'exposition propose deux volets, le premier patrimonial, avec la présentation des illustrations des premières éditions, signées Nathalie Parain, Etienne Morel, Lucile Butel, Hélène Guertik. "Pour les choix patrimoniaux, nous voulions particulièrement mettre en avant les illustrations des œuvres emblématiques de la collection, issues des livres qui résonnent pour tout le monde, et ce sont celles que l'on voit en premier, dès qu'on entre dans l'exposition", explique Bénédicte Roux.
La plupart des images viennent de la Médiathèque du Père Castor à Meuzac (Haute-Vienne) créée en 2006 par le fils de Paul Faucher (1931-1967), le fondateur, et par l'association des Amis du Père Castor. "Cette médiathèque conserve tout le fond documentaire, les archives, tous les éléments qui ont accompagné le travail éditorial, tous les documents qui ont participé à l'élaboration du travail créatif, et elle conserve également des illustrations originales", explique Bénédicte Roux. "Toutes ces archives sont entrées au patrimoine mondial de l'Unesco en 2017", ajoute l'éditrice.
Une révolution éditoriale
Derrière les albums du Père Castor se cache un homme, à l'origine libraire, passionné par l'éducation, un homme qui a révolutionné le monde des livres jeunesse dans les années 1930. "Paul Faucher a désacralisé le livre. A l'époque où sont publiés les premiers albums du Père Castor, les livres pour la jeunesse sont volumineux, lourds, avec une couverture cartonnée rigide. Ce sont des beaux livres, des livres d'étrennes. Ils ne sont pas du tout adaptés aux petites mains des enfants, qui bien souvent n'ont même pas le droit d'y toucher" raconte Bénédicte Roux.
Au début des années 1930, alors qu'il travaille chez Flammarion, Paul Faucher propose à la maison d'édition de lancer une nouvelle collection de livres pour les enfants. "Il avait pour idée de faire des livres qui parlent du quotidien des enfants, des albums souples, légers, maniables, qui privilégient l'image, et des livres pas chers", explique Anne-Catherine Faucher dans la monographie consacrée à son grand-père. "Le castor a été choisi comme emblème parce qu'il est connu pour ses qualités de constructeur, de bâtisseur, des valeurs que Paul Faucher voulait mettre en avant", raconte Bénédicte Roux.
En publiant en 1931 Je fais mes masques et Je découpe, de Nathalie Parrain, deux albums dont on peut admirer les premiers exemplaires dans l'exposition, Paul Faucher invente les "livres d'action", des livres que les enfants sont autorisés, et même invités à toucher, à colorier, ou à découper. "Une révolution !", insiste Bénédicte Roux.
La "Nouvelle éducation"
Paul Faucher, passionné par les questions d'éducation, s'intéressait depuis plusieurs années à la "Nouvelle pédagogie" qui prônait une éducation capable d'accompagner le "progrès global de la personne en suscitant l'esprit d'exploration et de coopération", comme l'expliquait la fondatrice de ce mouvement, Madeleine Guéritte.
Toute sa vie, Paul Faucher va travailler avec cette idée de créer des livres adaptés aux enfants, des livres qui s'adressent à eux. Une idée qui lui a été inspirée par sa rencontre avec Frantisek Bakule, un instituteur et pédagogue tchécoslovaque, pionnier de l'éducation nouvelle à l'instar de Célestin Freinet ou Maria Montessori. Pour Faucher, Bakule était "le génie de l'éducation en personne", raconte Anne-Catherine Faucher dans sa monographie.
"Paul Faucher a mis les enfants au cœur de l'ouvrage. Cela peut paraître anecdotique et banal aujourd'hui, mais à l'époque ce n'était pas du tout évident, cette volonté de vouloir aider les enfants à réfléchir par eux-mêmes, avec des livres où l'enfant est acteur, des livres où le texte est mis en regard de l'illustration, sans chevauchement, avec un travail sur la mise en page et la typographie, dans un soucis constant de clarté", poursuit Bénédicte Roux. "Et il s'entoure d'artistes de l'école russe, comme Nathalie Parain."
En 1946, Paul Faucher créé l'atelier du Père Castor, dans le 5e arrondissement de Paris, un "atelier d'outillage éducatif" dans lequel il travaille en équipe avec des psychologues et des chercheurs sur la pédagogie appliquée aux livres, puis il ouvre l'école du Père Castor, "où il teste en direct avec les enfants les livres qu'il publie", raconte Bénédicte Roux.
"Les enfants de la terre"
On lui doit également le premier imagier, qu'il met plusieurs années à élaborer, et "qui est aujourd'hui toujours au catalogue, sans qu'on ait vraiment eu besoin de changer quoi que ce soit à part la forme des téléphones", confie Bénédicte Roux. "Il avait déjà pensé à décliner son imagier en plusieurs formats, avec des versions avec des images dans des pochettes, que les enfants pouvaient ranger dans un coffret. Il s'adressait aussi directement aux enfants avec une petite lettre au début de l'album, signée Père Castor. Tout ça, c'était très moderne", ajoute l'éditrice.
Paul Faucher avait également la volonté d'ouvrir les enfants au monde. En 1947, Paul-Emile Victor, de retour d'une expédition dans l'Antarctique, envoie à Paul Faucher un carnet dans lequel il avait écrit et dessiné l'histoire d'un petit esquimau.
Ces quelques feuillets donnent naissance à Apoutsiak le petit flocon de neige, premier album de la collection "Les enfants de la terre". "L'idée était de montrer comment vivent d'autres enfants dans le monde, dans un autre environnement, avec déjà des questions aujourd'hui au cœur de l'actualité, comme l'écologie", souligne Bénédicte Roux.
Le Père Castor contemporain
Pour célébrer l'anniversaire des albums du Père Castor, la maison d'édition a entrepris de publier quatre albums iconiques "restaurés", dans une grande édition cartonnée. La Plus Mignonne des petites souris (avril 2021), Poule rousse (juin 2021) La Vache orange (août 2021) et Michka (novembre 2021). Pour cette série spéciale, l'éditeur a effectué un travail de chromie à partir des originaux ou des premières éditions, pour retrouver la qualité des images de Lucile Butel, Étienne Morel et Rojan.
"Mais nous publions aussi des nouveautés chaque année, avec de nouvelles histoires, de nouveaux illustrateurs, mais toujours avec le souci de clarté voulu par Paul Faucher", souligne Bénédicte Roux. Une autre partie de l'exposition est ainsi consacrée au Père Castor contemporain, et présente le travail des illustrateurs et illustratrices qui perpétuent aujourd'hui l'esprit de cette collection mythique : Olivier Tallec, Sébastien Pelon, Charlotte Gastaut, ou encore Donatien Mary.
"Albums étincelles"
Le Père Castor et le Musée des Arts Décoratifs s'associent pour proposer à partir du mois d'octobre des ateliers dans lesquels les enfants pourront découvrir les albums emblématiques de la maison d’édition en même temps que les collections d’objets du musée.
Inspirés de la pédagogie portée par Paul Faucher et des premiers ateliers artistiques du musée, deux ateliers "Formes" et "Décors" se dérouleront d'abord au musée avant d’être proposés dans un format itinérant dans les écoles de France.
"Je n'ai pas voulu des livres entonnoirs, j'ai rêvé d'album étincelles", disait Paul Faucher. Un rêve qu'il n'a cessé de mettre en œuvre avec ses albums du Père Castor, aujourd'hui toujours étincelants, 9O ans après leur création.
- Exposition "Paul Faucher ou l'invention du Père Castor", jusqu'au 13 novembre 2021, Galerie Gallimard, 30-32 rue de l'Université Paris 7e, du mardi au samedi de 13h à 19h
- "Paul Faucher ou l'aventure du Père Castor", Anne-Catherine Faucher (Flammarion, 110 pages couleurs, 29 €)
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