Ecrivains en herbe cherchent éditeur, et trouvent
La littérature des enfants : un genre à part ? Les éditions Mouck, dirigées par Gérard Pourret ont fait le choix de publier des livres écrits par des enfants. Ce qui intéresse l'éditeur, c'est cette période où l'enfant n'a pas encore été influencé.
Deux livres sont déjà parus dans la collection "Mutins" : "Nils et la prophétie", de Kawthar Mhammedi, un conte fantastique surprenant et profond, qui dénonce un monde inquiétant. Kawthar a aujourd'hui 16 ans et elle nous raconte, deux ans après, comment elle a vécu cette aventure.
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"Les fêlées" est un conte de Perrault réinterprété à la trash avec des préoccupations d'une petite fille d'aujourd'hui, Juliette Ladeuil (10 ans au moment de la publication).
"Les enfants ne sont pas pris au sérieux. On considère toujours qu'ils sont des êtres en devenir, en phase d'incapacité tant qu'ils ne sont pas adultes. On s'extasie devant les dessins, les poèmes, puis on range ça vite dans des cartons. C'est dommage. Il y a une vraie spécificité dans les écrits des enfants. Ils n'écrivent pas comme les adultes. Ils ne sont pas encore influencés par ce qu'ils ont lu, ou vu. Et leur monde est un monde bien particulier, qui n'a rien à voir avec le monde des adultes. Il faut faire une place dans les bibliothèques et dans les librairies à cette littérature, qu'on ne sait d'ailleurs pas comment appeler", explique Gérard Pourret.
Enfance de l'art
L'histoire a connu des enfants écrivains prodiges, parfois devenus grands auteurs reconnus à l'âge adulte, parfois pas. "Tous les enfants ont du génie, sauf Minou Drouet", disait Cocteau. En 1956, René Julliard, l'éditeur de "Bonjour tristesse" de Françoise Sagan, publie "Arbre, mon ami". Minou Drouet a 9 ans.
Le recueil de poèmes connait un grand succès de librairie, suivi d'une controverse. On flaire l'usurpation : les poèmes seraient écrits par la mère adoptive de l'enfant. Rolland Barthes, qui publie un an plus tard "Mythologies", analyse dans un chapitre de son ouvrage ce qui est devenu "l'affaire Drouet". Il décrit Minou Drouet comme l'incarnation du mythe bourgeois de l'enfant prodige.
On ne saura jamais si Minou Drouet écrivait alors elle-même ses poèmes, mais sa carrière d'écrivain est éphémère. Elle fait un peu de Music hall dans les années 60 avant de se retirer dans sa Bretagne natale. En 1993, dans "Ma vérité", elle dit ne plus avoir envie d'écrire.
Opal Whiteley enfant poète
Opal Whiteley savait à peine écrire quand elle commence son journal intime. Cette petite fille américaine vit au fin fond de l'Oregon, dans une famille de bûcherons. Chaque jour, elle rédige son journal sur des petits morceaux de papier, rangés méticuleusement dans une boîte en fer, qu'elle cache dans son jardin.
Le style est phonétique et poétique. Elle y décrit son monde, peuplé de fées et d'animaux baptisés de noms piochés dans la mythologie ou l'histoire. Plus tard, cette femme fantasque qui se prend pour l'héritière de la famille d'Orléans écrit des livres, qu'elle cherche désespérément à faire publier. Un jour, en la questionnant, un éditeur découvre ses écrits d'enfance. Déchirés par sa soeur, Opal a gardé ses petits papiers. Elle entreprend de les recoller.
L'éditeur publie en 1920. Rien d'autre ne suivra. Elle finit ses jours à l'hôpital psychiatrique. Gérard Pourret, (Editions Mouck) a réédité des extraits de ses écrits, sous forme de livres pour la jeunesse ("Mon cochon va à l'école" et "Les yeux des pommes de terre").
Flaubert, Zola ou Némirovsky ... Quand les grands étaient petits
"Comme c'est beau la mer, quand une belle tempête la fait mugir à mes oreilles, ou bien quand les nuages brumeux englobent son horizon, quand elle vient se briser sur les rochers..." Flaubert, 13 ans. Gérard Pourret édite aussi les textes des grands auteurs, écrits alors qu'ils n'étaient encore que des enfants, souvent des inédits, ou du moins jamais publiés en tant que tels, mais glissés dans des oeuvres complètes.
Pour exhumer ces trésors, il lui faut enquêter, chiner, fouiller jusqu'à dénicher la perle. Ce travail de fourmi réserve parfois de bonnes surprises, comme pour l'un des récits de "Nonoche, dialogues comiques", d'Irène Némirovsky, découvert par Gérard Pourret dans "Le rire", revue satirique des années 20.
Zola, Flaubert, twain, Lewiss Carroll ... Gérard Pourret cherche toujours des textes courts et les fait illustrer, pour familiariser le public jeune avec des auteurs classiques. "Flaubert, on l'a publié avec les fautes d'orthographe, elles sont corrigées à la fin de l'album. Ce qu'il raconte est très proche de l'univers des collégiens d'aujourd'hui. Ça désacralise un peu!" ajoute-t-il en souriant.
Il rêve du jour où les librairies et les bibliothèques auront un rayon consacré aux livres écrits par les enfants. En attendant, Gérard Pourret prépare la sortie d'un nouvel album écrit par une enfant, et Claude Ponti, grand auteur de littérature jeunesse, a créé le Muz, un "musée des oeuvres des enfants" sur internet.
A lire :
Nils et la prophétie
Kawthar Mhammedi, illustré par Aurore Petit
Edtions Mouck
14 Euros
Les fêlées
Juliette Ladeuil, illustré par Armel Toucour
Edtions Mouck
14 Euros
Tous les livres des éditions Mouck sur leur site
"La rivière au bord de l'eau, Journal d'une enfant d'ailleurs", d'Opal Whiteley
Editions La Cause Des Livres, 2006
Muz : Musée virtuel des enfants de Claude Ponti
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