Festival du livre de Paris 2024 : 10 conseils pour (re)donner à vos enfants ou ados le goût de la lecture
Si vous lisez cet article et découvrez ces chiffres sur un téléphone, vous êtes mal placé pour verser une larme. Une étude du Centre national du livre (CNL) rendue publique mardi 9 avril montre que les 7-19 ans consacrent 19 minutes par jour à lire des livres, contre 3h11 quotidiennes devant un écran. On aurait pu rester sur ce constat. On a préféré demander à des libraires, une autrice, un influenceur littéraire et une universitaire leurs conseils pour redonner à vos marmots l'envie de se plonger dans un bouquin, alors le Festival du livre de Paris se tient de vendredi à dimanche au Grand Palais éphémère.
1 Ecoutez les envies de votre enfant
C'est un peu le test ultime pour un libraire : qu'un parent fatigué lui colle dans les pattes un enfant "qui ne lit rien". "On tourne à un par jour, ou presque", confient Abigael et Marie, libraires jeunesse au Livre et la Tortue, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). D'où une technique bien rodée. "Le secret, c'est de l'accrocher avec un thème, poursuivent-elles. S'il aime les jeux vidéo, on a des titres dans cet univers. Même chose pour le foot, par exemple. Le réflexe à avoir, c'est de ne pas lui proposer un livre trop épais. Sinon, l'effet repoussoir est immédiat." Une fois que le bouquin est ouvert, c'est gagné, presque à coup sûr. "Et si on voit que ça ne marche pas, on l'oriente vers la BD", conseillent encore les libraires.
2 Ne rabaissez pas la BD ou les mangas
Dans les années 1950, le psychiatre américain Fredric Wertham menait campagne contre les comics, accusés de transformer la jeunesse en graine de délinquants. Une thèse battue en brèche depuis des années... sauf dans l'esprit de certains parents un chouïa conservateurs, qui doivent avoir noté avec angoisse ce chiffre : 77% des livres lus par les 7-19 ans sont des mangas, des BD et des comics, selon l'enquête du CNL (quatre points de plus qu'en 2022). Il existe des ouvrages qui sont la synthèse entre les deux, comme Max et les Presque Chevaliers, où les (petits) blocs de texte alternent avec des strips de BD. "Ça rassure l'enfant et ça rassure l'adulte", sourient les libraires Abigael et Marie.
3 Ne surestimez pas votre enfant
Vous avez grandi avec Harry Potter, et ça y est, Junior et Juniorette ont enfin l'âge de découvrir la saga de J.K.Rowling dans le texte. Pas de précipitation ! "Quand le roman est sorti, j'avais 11 ans, et j'ai suivi la saga en lisant le tome annuel, raconte Marie, de la librairie Le Livre et la Tortue. Aujourd'hui, des parents veulent faire lire la saga à leur enfant dès 7 ans. J'essaie de les orienter vers une œuvre davantage de l'âge de l'enfant, après avoir vérifié son niveau de lecture." Ce syndrome se retrouve aussi avec l'éternel Club des cinq. "Combien de gens m'assurent avoir lu la série à 8 ans alors qu'en fait, c'était plutôt 10 ? A cet âge-là, la différence est considérable", appuie Maxime Massole connu sous le pseudo @AgathoCroustie sur les réseaux et dans la vraie vie à la librairie Chantelivre à Paris, qui glisse qu'une version simplifiée de ce classique intemporel existe en bibliothèque rose. Prévenons tout de suite les puristes : Claude, Mick, François, le chien Dagobert et les autres utilisent désormais des téléphones portables dans la version modernisée du texte.
4 Ne rabâchez pas que "c'était mieux avant"
Attention à ne pas commettre l'erreur d'idéaliser ses propres lectures d'enfance. Avis aux quadras qui nous lisent. "Dans les années 1980-90, il y a eu un terrible creux dans la qualité de la littérature jeunesse, rappelle Eléonore Cartellier, docteure et professeure spécialiste de littérature jeunesse à l'université Grenoble Alpes. C'est l'époque où on simplifiait Alice au pays des merveilles avec un vocabulaire de 4 000 mots maximum. Et dans la collection 'Chair de poule', qui faisait fureur à l'époque, toutes les informations étaient données trois fois. C'était une réponse au... maigre temps d'attention des enfants, quand les adultes jugeaient qu'ils passaient trop de temps devant 'Le Club Dorothée'".
5 Continuez à lire avec votre enfant, même grand
C'est l'un des rituels parents-enfants les mieux établis : le moment lecture avant d'aller se coucher. "C'est un moment où l'on s'extrait du monde. C'est une excellente manière d'appréhender la peur que l'on peut avoir à l'égard de la lecture en la partageant ensemble, et mieux l'apprivoiser pour la transformer en plaisir", expliquait sur France Inter Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, le plus important du genre en France. "C'est un excellent moyen de familiarisation avec la lecture", poursuit-elle.
Rituel et moyen qu'il ne faut surtout pas arrêter une fois que l'enfant sait lire, assure Eléonore Cartellier. "C'est le moment de lui faire découvrir des livres plus compliqués, quitte à expliquer ici et là un mot ou zapper les paragraphes qu'il ne va pas comprendre. Beaucoup de parents cessent ce moment de partage beaucoup trop tôt."
6 Arrêtez de penser que les écrans sont le mal absolu
Le calcul est vite fait : les jeunes passent dix fois plus de temps devant un écran que devant un bouquin (le ratio chez les 16-19 ans est encore pire, avec plus de cinq heures de smartphone/télé/ordinateur par jour, selon l'étude du CNL). Alors pourquoi ne pas chercher à rentabiliser ce temps d'écran en faisant lire des livres transformés sous forme de conversation sur les réseaux sociaux, comme le propose l'appli Nabook ? Autre idée ludique, l'appli Biblioquête autour de l'univers du romancier Timothée de Fombelle (développée par France Télévisions).
Dans son livre remarqué La Fabrique du crétin digital, Michel Desmurget introduisait une nuance sur la consommation d'écrans, entre le temps d'information et celui purement récréatif, qui se taille la part du lion chez les ados. Mais on peut avoir de bonnes surprises, vu que certains réseaux sociaux sont devenus extrêmement prescripteurs en matière de conseils lecture. Les professionnels se sont adaptés à ces nouveaux usages. "On fait une veille sur les influenceurs, sur TikTok et Instagram, expliquent les libraires Abigael et Marie. On a aussi des parents qui nous signalent quand tel ou tel bouquin devient un sujet important dans le collège à côté. Il faut absolument qu'on l'ait en rayon".
7 Intéressez-vous à ce qu'il ou elle lit
Les spécialistes ont identifié deux temps du décrochage de la lecture chez l'enfant : quand il commence la lecture autonome (7-8 ans) et quand il arrive en fin de collège, où bien souvent les consoles de jeux et le smartphone supplantent ce divertissement poussiéreux. Des pistes existent pour y remédier, et figurez-vous que c'est encore aux parents de se retrousser les manches sans espérer un coup de baguette magique à l'école. "Passé le cap de l'adolescence, est-ce que les adultes s'intéressent encore à ce que leurs enfants lisent ?, s'interroge l'autrice Aurélie Gerlach, qui signe la série à succès Aux douceurs enchantées. Il faut les laisser choisir, porter dessus un regard positif et échanger dessus, comme on parlerait d'un film ou d'une série".
8 Commencez par lire, vous-même, plutôt que de râler
De la même façon que les élèves bons en sport ont bien souvent des parents sportifs, les petits lecteurs sont inspirés par des parents qui bouquinent. Dans l'étude du Centre national du livre, 18% des jeunes interrogés assurent qu'aucun de leurs parents ne lit le moindre livre. Soit cinq points de plus qu'en 2022, précédente édition de cette étude. "Lisez devant eux, exhorte Eléonore Cartellier. Lisez pour vous, mais même ce moment individuel va aider à désacraliser l'objet livre devant vos enfants. Quand on lui met un bouquin entre les mains, un enfant de 8 à 9 mois va avoir le réflexe, par imitation, de tourner les pages". Une autre astuce consiste à laisser traîner dans les lieux partagés des magazines, des BD ou un livre. "Prendre le réflexe de feuilleter, ce n'est jamais perdu", conclut la professeure.
9 Ne considérez jamais que c'est peine perdue
Même si votre enfant refuse toujours de feuilleter un livre malgré tous vos efforts, il ne faut pas considérer qu'il est perdu pour toujours pour la lecture. Il existe encore des motifs d'espoir. Oubliez les rébarbatives pièces de théâtre du XVIIe siècle comme lecture imposée au collège : les directives de l'Education nationale laissent désormais davantage de marge de manœuvre à l'enseignant pour mettre des romans plus contemporains entre les mains des élèves.
Avec un peu de chance, votre ado va se retrouver juré littéraire d'un prix organisé par sa ville ou son département. Et là, le miracle peut se produire. "Je garde des souvenirs marquants de rencontres avec des classes de lycée professionnel où il y a beaucoup de non-lecteurs, raconte Aurélie Gerlach. Ça m'est arrivé plus d'une fois qu'un élève me dise 'D'habitude, je ne lis jamais, mais là, je me suis accroché pour finir votre livre car c'est écrit comme on parle dans la vraie vie'. Je ne sais pas si ces ados se sont rués en librairie ensuite, mais ils ont repris contact avec la lecture, qui est d'un coup vue comme moins élitiste."
10 Demandez conseil à votre libraire... ou à franceinfo
"Les gens reconnaissent qu'ils n'arrivent pas à suivre", sourit Maxime Massole. Et de fait, rien que pour l'édition jeunesse, les éditeurs sortent 18 000 titres par an selon le Syndicat national de l'édition (soit 16% en volume du marché du livre en France). "Demandez-nous conseil, c'est notre travail", insiste le libraire. Si vraiment, vous êtes coincés dans une grande surface culturelle bondée un samedi soir à 18 heures ou comme deux ronds de flan devant un site marchand, voici une petite liste (classée par âge de lecture) :
- Crocodingue et les Mystères de Paris, d'Anna Bellamy-Lemarchant et Marjolaine Leray
Pour "tomber dans la marmite" de la lecture, conseille Maxime Massole. - Les Journaux pas si intimes de Marion, de Faustina Fiore. "La couverture est rose, mais ce roman complètement décalé marche aussi bien avec les filles qu'avec les garçons", glisse Maxime Massole. A partir de 9 ans.
- Charlie et la Chocolaterie de Roald Dahl. Toute l'œuvre de l'auteur anglais est idéale pour rassurer les parents lecteurs d'un élève de primaire, assure Eléonore Cartillier : "C'est jubilatoire et il y a eu plein de films qui sont une bonne porte d'entrée pour en discuter."
- La saga Mathieu Hidalf, de Christophe Mauri. Pour votre enfant qui a kiffé Daniel Radcliffe dans le rôle d'Harry Potter mais est encore un peu jeune pour s'enfiler les 900 pages des Reliques de la mort. Aurélie Gerlach est dithyrambique sur toute la saga, "vraiment géniale".
- Les Petites Reines, de Clémentine Beauvais. Pour récupérer votre ado qui vit avec sa PlayStation, "un classique d'aujourd'hui, qui brosse tous les thèmes de l'adolescence", commente Maxime Massole.
- La saga Sauveur et Fils (sept volumes) de Marie-Aude Murail. Pour là encore rassurer les parents lecteurs d'un ado. "On pourrait presque la labeliser autrice jeunesse depuis 1987", synthétise Eléonore Cartillier.
- Celui qui n'aimait pas lire, de Mikaël Ollivier. L'histoire d'un ado qui déteste lire et qui revient petit à petit à la littérature par le cinéma, en dévorant les romans adaptés sur grand écran. "Idéal pour les plus grands qui ont un rapport conflictuel à la lecture", résume Maxime Massole.
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