"Les Étoiles montantes" de Mabrouck Rachedi : cinéma et résilience au temps de l'adolescence
Pour son quatrième livre jeunesse, Les Étoiles montantes publié chez Milan, Mabrouck Rachedi met en scène un quatuor de collégiens qui envisage de se transformer en scénaristes. L'écrivain explore une thématique qu'il connaît bien : la capacité mobilisatrice de l'écriture pour les jeunes. En intervenant dans les écoles et en les accompagnant dans la production d'un texte au sein d'ateliers depuis des années, l'écrivain a décodé quelques-uns des mécanismes qui mettent en marche les jeunes auteurs. Rachedi construit ainsi, avec Les Étoiles montantes, une "feel good story" riche en rebondissements dont des d'adolescents, au profil parfois iconoclaste, sont les attendrissants héros.
Khadijatou s'acharne à trouver la combinaison gagnante au loto. Aline s'acharne tout autant à contester tout ce qu'elle peut sur le plan administratif. Kevin s'acharne plutôt sur ses camarades de classe en les agressant. Enfin, Yanis s'acharne, lui, à cacher qu'il est un photographe amateur. C'est d'ailleurs son intérêt pour l'image qui le rapproche de sa professeure, Mme Tayeb. L'enseignante veut faire "découvrir l'histoire du cinéma" à ses élèves. Mais l'entreprise semble difficile cette année dans son établissement d'Aubervilliers. Pour relancer son ciné-club, elle tente de les appâter avec un classique français qui parle de jeunes de banlieue comme eux, La Haine de Mathieu Kassovitz. Il n'y a que Yanis qui tombe dans le piège attiré par la photo noir et blanc du film. Il sera la première recrue d'un ciné-club qui changera aussi la vie de ses compagnons d'aventure et futurs amis, comme pour se faire pardonner de les avoir leurrés pour les enrôler.
Raconter sa propre histoire
Les films, la petite bande ne ferait pas que les voir, elle en écrira bientôt. Du moins un court-métrage. Quand Mme Tayeb propose à ses élèves de s'inscrire à un concours d'écriture de scénario, de déplaisants souvenirs remontent à la surface. Plus jeune, la professeure a participé à un concours similaire, mais son groupe ne l'avait pas remporté parce que le jury avait estimé que "des élèves de notre lycée ne pouvaient pas avoir écrit un texte aussi élaboré". Son histoire remue les élèves d'aujourd'hui, mais elle les prévient : il ne faut pas relever ce défi pour "de mauvaises raisons". S'inscrire à ce concours, ils le feront bien pour eux, même s'ils ne s'en rendent pas encore compte.
Les Étoiles montantes est à la croisée des turpitudes du cinéma, de l'adolescence, des blessures lointaines qui ont du mal à se refermer, du désagréable sentiment de déclassement ressenti par ceux qui vivent dans les périphéries. Ici, les banlieues. Khadijatou souffre d'un père absent, Yanis s'inquiète pour sa tante maternelle adorée, Djamila, qui est malade : elle est devenue la maman qu'il n'a plus. Kevin porte les séquelles d'une vie de famille dysfonctionnelle et Aline demeure en quête de tout ce qui va mal et qui la contrarie.
Comme un antidote
Le roman est le récit d'une ascension créative qui se nourrit des pérégrinations de ses jeunes héros. Après les avoir dévoilés, Mabrouck Rachedi relate comment leur nouvel objectif va peu à peu écraser leurs névroses, y compris celle qu'ils ignoraient. L'exercice de l'écriture se fait salutaire en dépit des obstacles à surmonter : il faut non seulement faire travailler son imaginaire, mais aussi se mettre au service d'un collectif.
Avoir côtoyé si souvent des adolescents aide Mabrouck Rachedi à construire des parcours de vie qui reprennent les manques que l'on peut ressentir durant cette période délicate de la vie, surtout quand les parents sont absents au sens figuré comme au sens propre. Mme Tayeb est ici une John Keating, l'inspirant professeur de littérature anglaise du film de Todd Anderson – Le Cercle des poètes disparus – parachutée à Aubervilliers. Au travers son récit, l'écrivain reconstitue au passage une cinémathèque où l'on peut retrouver pêle-mêle Blow Up (1966), A Star Is Born (2018), Black Panther (les 2 opus) ou encore le documentaire L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (2009). Aline, Khadijatou, Kevin et Yanis sont les fidèles avatars fictionnels d'une jeunesse avide de projets et de défis à relever.
"Les Étoiles montantes" (Milan), 200 pages, 14,90 euros
Extrait :
"-Je peux dire quelque chose ? demande-t-il timidement.
- Bien sûr, tu es là pour ça, l'encourage Khadijatou
- Je veux offenser personne, voyez-vous, mais vous trouvez pas que ça fait un peu cliché, cette histoire de contrôle de police ? poursuit Kevin
-C'est une question ou une affirmation ? répond Khadijatou, un peu vexée
-On est le seul établissement de banlieue à participer à ce concours et on va représenter nos quartiers comme on les montre déjà à la télé. Est-ce qu'on ne pourrait pas être là où on nous attend pas ? Peut-être que je dis une connerie, c'est que mon avis." (Les Étoiles montantes, page 112)
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