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Les migrants, comment en parler aux enfants ? Enquête au salon du livre de Montreuil

Des ombres dans la ville, des images choquantes à la télévision, des discours politiques, des questions qui surgissent à l'école, dans la rue, à la maison… Comment parler des migrants aux enfants et aux ados ? Quel rôle le livre peut-il jouer ? Comment en parler, comment représenter cette question qui traverse leur quotidien ? Enquête au salon du livre jeunesse de Montreuil.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Amélie Fontaine, illustratrice, dessine en direct au Salon de Montreuil
 (Laurence Houot - Culturebox)

Salon du livre de Montreuil, niveau -1. Exposition "Nos futurs". Un mur couvert d'affiches, d'illustrations. On y aperçoit des bateaux, des visages, des grillages, des familles. "Moi si je devais donner un objet à un migrant, je lui donnerais une maison", "moi de l'argent", moi je lui donnerais des papiers!", "et moi la liberté!" Les enfants assistent avec leurs maîtres d'école à une rencontre avec Amélie Fontaine, illustratrice.

Elle a dessiné les images de "Planète migrants", un livre documentaire pour les enfants signé Sophie Lamoureux (Actes Sud Junior), qui donne des clés aux enfants pour mieux comprendre les questions de migrations. Aujourd'hui elle dessine sur le mur déjà bien rempli, pour les enfants pendant qu'ils échangent avec l'animatrice. Les questions fusent, les réponses aussi. Le sujet les intéresse.

"Ça me touche le cœur"

Quand la rencontre s'achève, les enfants sont invités à s'approcher du dessin. Une ruche : la discussion se poursuit autour de l'illustratrice. Un peu à l'écart, Moustapha regarde une image de près, absorbé par le dessin d'une embarcation qui chavire dans la tempête. "Je regarde comment ils peuvent survivre, j'en avais jamais entendu parler, ça me touche le cœur", confie-t-il.

"On a parlé des immigrés, et pourquoi il y a des gens qui ne veulent pas les accueillir dans leur pays. C'est pas bien. Si c'était moi je dirais au président et à tout le monde autour : oui ils ont le droit de venir, ils ont le droit de venir", s'échauffe Assya, 8 ans, qui a assisté elle aussi à la rencontre avec sa classe. "C'est important de parler de tout ça, parce que les immigrés, ils ont presque rien, ils n'ont pas de papiers, ils n'ont pas de maison, y en a qui vivent dans des bateaux…"
Sur le mur d'affiche de Montreuil
 (Laurence Houot - Culturebox)
"Le livre, c'est un prétexte, parce qu'il y a du réalisme qui n'est pas cru, qui leur correspond. Ce ne sont pas des vraies photos, ce sont des illustrations, et dès lors qu'il y a des personnages auxquels ils peuvent s'identifier, ils se sentent encore plus concernés. Ils sont touchés, on les interpelle dans leur affectif et un livre avec texte ou sans texte, c'est effectivement un objet qui leur permet d'aborder tous les sujets", constate Alexandra Rolland, directrice de l'école élémentaire Rouvier à Paris, en visite avec ses classes au salon de Montreuil. "A l'école, on n'aborde pas forcément le thème des migrants, tel qu'il est présenté aujourd'hui, mais le 'vivre ensemble', la bienveillance, la bienvenue, l'accueil, on travaille beaucoup sur l'accueil avec eux, et ça commence avec le bonjour du matin", explique Alexandra Rolland.

"Je me suis posé beaucoup de questions sur comment représenter les migrants"

"J'étais très réticente à l'idée de faire un livre sur les migrations à cause de toutes les images que j'avais vues, qui m'avaient beaucoup choquées, et qui sont souvent dans le pathos. J'avais envie de me détacher de ça, de cette émotion pour aller plutôt vers des images 'questionnantes', qui pouvaient apporter une réflexion", confie Isabelle Fontaine, l'illustratrice.

"Je me suis aussi posé beaucoup de questions sur comment représenter les migrants, la question de la couleur de peau en dessin et j'avais envie d'aller vers quelque chose de plutôt symbolique et stylisé", explique Isabelle Fontaine. "C'est intéressant de voir les réactions des enfants, parce que je n'en avais pas eu beaucoup jusqu'ici autour de ce livre. Et on se rend compte qu'ils ont une image très définie de ce qu'est un migrant, ou d'une personne qui accueille, mais on voit aussi qu'ils sont influencés par les images des médias et ce qu'on leur montre est très très sombre en fait", poursuit-elle.
Pages intérieures de "Planète migrants", de Sophie Lamoureux et Amélie Fontaine (Actes Sud Junior)
"Ce que j'aime bien dans ce livre, 'Planète migrants', c'est qu'il n'est pas du tout orienté, c'est un livre qui énonce beaucoup de faits sur la migration, c'est un livre très complet, c'est vraiment ce qui m'a plu, parce qu'il y a quelque chose d'évident qui s'en dégage. On montre que à travers l'histoire, il y a toujours eu des migrations, et j'aimais bien cette évidence claire qui s'en dégageait. "Je pense que le livre est un support au questionnement, et justement ce qui est bien c'est ensuite de pouvoir en discuter, je pense que c'est un livre qui s'adresse aux enfants, mais beaucoup aux parents aussi. C'est un livre qu'on lit avec ses parents je pense", conclut-elle.

"Nos futurs c'est aussi la manière dont on va vivre ensemble"

"Cette année au salon on était sur un choix de thématique qui s'appelait "Nos futurs", et nos futurs c'est aussi la manière dont on va vivre ensemble, dont on va accueillir les autres, et sur la façon aussi dont on peut aider les autres à être bien dans ce monde", explique Nathalie Donikian, directrice littéraire du salon. "Et donc on a fait le choix de faire un mur d'affichage évolutif dans l'exposition "Nos futurs", où les auteurs, les illustrateurs, viennent proposer des images, proposer des textes sensibles, émouvants, qui donnent à voir, qui donnent à entendre, tout ce qu'on peut faire ensemble", poursuit Nathalie Donikian.
Illustration, mur d'afiiches, exposition "Nos futurs", Montreuil, "Massamba, le marchand de tours Eiffel", Béatrice Fontanel, Alexandra Huard, Gallimard Jeunesse (2018) 
 (Laurence Houot - Culturebox)
"Tous les genres de la littérature jeunesse sont traversés par cette question. Les auteurs et les illustrateurs jeunesse sont en relation avec la société d'aujourd'hui", ajoute Nathalie Donikian, qui propose de nous faire découvrir une sélection des meilleurs livres sur le sujet des migrants et des migrations. Suivez le guide.

La liste

La liste de Nathalie Donikian, directrice littéraire du salon du livre jeunesse de Montreuil

DOCUMENTAIRES

- "Planète migrants", Sophie Lamoureux, Amélie Fontaine (ill.), Actes Sud junior (2016)
"C'est un très bon documentaire, qui met en perspective avec des rappels historiques. Sophie Lamoureux est journaliste et elle a l'habitude de s'adresser aux enfants, et le livre est illustré avec une grande sensibilité par Isabelle Fontaine. Et même en tant qu'adulte, on apprend pleine de choses."

- "Enfants d’ici, parents d’ailleurs : histoire et mémoire de l’exode rural et de l’immigration", Carole Saturno, Gallimard Jeunesse (2017)
"Carole Saturno a collaboré à "Eux, c'est vous". Ce livre est un regard très précis sur la question"

ALBUMS

- "L’extraordinaire voyage du chat de Mossoul, raconté par lui-même", Elise Fontenaille et Sandrine Thommen, Gallimard Giboulées (2018)
"C'est l'histoire extraordinaire de ce chat part de Syrie et arrivé jusqu'à la Norvège avec une famille de migrants. Elise Fontenaille va toujours chercher pour parler d'un sujet de quelque chose d'extraordinaire. Et là en plus il s'agit d'une vraie histoire, qui est vraiment arrivée".

- "Massamba, le marchand de tours Eiffel", Béatrice Fontanel, Alexandra Huard, Gallimard Jeunesse (2018)
"C'est l'histoire d'un Africain qui migre, se retrouve dans un centre de rétention en Espagne, dont il s'échappe, et qui va arriver jusqu'à Paris, où il se met à vendre des petites tours Eiffel, l'emblème de la France donc, et l'histoire va bien se finir parce qu'il va rencontrer un garçon qui va le faire embaucher par son père. C'est une histoire qui raconte tout ce chemin entre l'Afrique et la France."

- "Fuis, tigre", Gaetan Dorémus, Seuil jeunesse (2018)
"Cet album aborde la question de l'acceptation de l'autre, de celui qui est différent."

- "Cher toi que je ne connais pas", Isabelle Pin, Hélium (2018)
"C'est un joli livre sensible, sur l'accueil, qui passe pour les enfants par des choses très simples. Et c'est étonnant parce que justement, dans les rencontres du salon sur le thème, un enfant à qui on demandait de dire ce qu'il donnerait à un migrant pour l'accueillir, a répondu qu'il lui dirait 'ne t'inquiète pas, n'aie pas peur, tu viendras chez moi, et tu pourras caresser mon chat. C'est exactement ce moment d'accueil très joli, que raconte Isabelle Pin"

- "Rue des 4 vents", Jessie Magana, Magali Attiogbé, Editions des éléphants (2018)
"Ici on parle des migrations à travers l'évolution d'une rue. La rue voit passer toutes les vagues d'immigration : les Italiens, les Portugais, les Arméniens, jusqu'à aujourd'hui. C'est une très belle idée, et le titre est bien trouvé"

- "Le Refuge", Géraldine Alibeu, Cambourakis (2017)
L'histoire d'un migrant qui se construit un refuge, et qui accueille d'autres migrants. Chacun apporte sa contribution ce qui permet de construire un espace plus grand pour vivre ensemble". "Les cailloux", de Élea Dos Santos, Chandeigne (2018) L'histoire d'un petit garçon différent, qui accueille naturellement son prochain. "Un livre sans texte, qui se joue avec les couleurs."

ROMANS

- "Shorba, l’appel de la révolte", Gaspard Flamant, Sarbacane (2018)
"Celui-là était dans la liste des 6 romans sélectionnés pour la Pépite. Il montre comment en ouvrant les yeux, de se tournant vers les autres, on peut réaliser où on se trouve soi-même, et comment on peut agir pour le monde qui nous entoure".

- Les Etrangers", Eric Pessan et Olivier Solminihac, Ecole des loisirs (2018)
"C'est un peu la même approche que 'Shorba'. Celui-là parle d'un gamin qui réalise que près de chez lui, un espace dans la gare est occupé par des migrants. Il montre aussi comment ces populations peuvent se retrouver en otage d'autres groupes, mafieux par exemple. Dans cette histoire, c'est le garçon qui va les aider à sortir de ces carcans

BANDE DESSINÉE

"L'or sauvage" - "Humains", Baudoin, Troub’s, L'Association (2018)
"C'est vraiment un témoignage sur l'accueil, dans la vallée de la Roya, qui sert de passage entre l'Italie et la France. C'est un regard sur les migrants et sur les gens qui les aident."

- "Un gentil orc sauvage", Théo Grosjean, Delcourt (2018)
"Il a bien mérité la Pépite de la Bande dessinée ! C'est un livre bien senti, dans lequel il y a plusieurs niveaux de lecture. C'est un livre très dense, en noir et blanc, et pourtant c'est celui-là que les adolescents du jury des Pépites a choisi pour la catégorie BD".

- "La fissure", de Guilermo Abril et Carlos Spottorno, Gallimard BD (2017)
Un récit en photographies, d'Est en Ouest, et du Sud vers le Nord.  "Un album magnifique"

- "Les Nouvelles de la Jungle", Lisa Mandel, Yasmine Bouagga, Casterman (2017)
Un reportage en BD sur la jungle de Calais.

LIVRE DISQUE

- "Loin de Garbo", Sigrid Baffert, Natali Fortier, Editions des Braques
"C'est l'histoire d'une saga familiale, avec toute une famille qui part pour fuir une dictature vers un pays d'Europe où ils espèrent trouver l'eldorado. On fait tout ce trajet avec eux, du plus petit, aux parents, en passant par le grand-oncle, donc à travers toutes les générations".

THEATRE

"Quand j’aurai mille et un ans", Nathalie Papin, Ecole des loisirs
Cendi a onze ans et rêve de vivre jusqu’à 117 ans. Avant d’y parvenir, elle doit fuir son pays en guerre et prendre le risque de se noyer en voyageant dans de vieux rafiots. Grâce à sa capacité à vivre sous l’eau, en apnée pendant de longues minutes, Cendi réchappe à un naufrage. Lorsqu’elle e réveille, elle a la surprise de se retrouver dans une station sous-marine. Une vieille muette la regarde ainsi qu’un jeune garçon. Pas si jeune, en fait, le garçon. Immortel. A partir de 8 ans.

"Le Garçon à la valise" de Mike KENNY et Anna GRIOT (Actes Sud Junior)
"L'histoire d'un garçon qui voyage avec des histoires dans sa valise, un odyssée au cours de laquelle le garçon raconte des histoires aux gens qu'il rencontre sur son chemin. Un texte génial, un conte !"

- Vendredi 18h30 : "Le chien cornet", Gwenaël David, Amélie Fontaine sur le stand Hélium
- Samedi 10h30-12h00 : "Le droit des animaux", Florence Pinaud, Amélie Fontaine (Stand Actes Sud)

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