Rencontre avec Claude Ponti, la star des enfants
La tentation était grande d'entrer dans son atelier. Mais Claude Ponti ne laisse personne y pénétrer. "C'est intime, dit-il, et puis les journalistes me demandent de faire semblant de travailler pour la photo, et moi j'ai horreur de faire semblant de travailler." Alors il m'a donné rendez-vous à l'Ecole des Loisirs, sa maison d'édition depuis plus de 20 ans. Un escalier, des couloirs, des bureaux lumineux et studieux, des livres partout. Il salue les uns et les autres, il est un peu chez lui ici. On s'assied dans un bureau, plein de livres aussi. Claude Ponti est un homme au visage rond, yeux doux et malicieux. Je suis un peu intimidée par cet homme capable de si bien raconter les histoires. Je me demande comment je vais poser des questions à cet inventeur de mots et de mondes, grand connaisseur des enfants.
Le début : à 7 ans, je voulais être peintre et je n’ai jamais changé d’avis
L'Est de la France, Lunéville puis les Vosges."Je dessinais tout le temps." A l'école, il y a eu des hauts et des bas. Il passe sur les bas (une manie), dit juste qu'il est gaucher et dyslexique. Les hauts, c'est avec une maîtresse à la maternelle. "Elle nous installait des grandes feuilles au mur et on peignait avec les doigts, ou avec des gros pinceaux accrochés à des manches à balais. Son mari faisait du théâtre de marionnettes et nous faisait des spectacles en classe. Elle nous a montré tous les Laurel et Hardy. Elle était vraiment extraordinaire !" Ca a contrebalancé toutes les années "merdiques" qu’il y a eu ensuite à l’école. "En tout, j’ai eu trois très bons profs, elle et deux autres. J’ai eu de la chance quand même (il sourit). C’est toute la puissance du système, un ou deux très bons enseignants dans une scolarité, ça sauve tout le reste !".
Il se rêve peintre, sa famille le veut professeur de français. "Alors quand j'ai eu mon bac à 18 ans, j’ai choisi les Beaux Arts d’Aix-en-Provence, pour partir le plus loin possible de chez moi ! A l’époque on était majeur à 21 ans. Mon père m’avait dit si tu fais ça, je t’envoie la police ! Il a renoncé …"(Chhuuuut, vous ne le direz pas ça hein?).
Etudes avortées de lettres et d'archéologie à Strasbourg. "J'étais naïf, je croyais qu'on apprenait à peindre aux Beaux Arts et à écrire dans les facs de lettres !" A 20 ans, Paris. Il devient peintre et dessine pour la presse.
L'autre début : Adèle
"Une illumination", la naissance d’Adèle (sa fille, pour ceux qui vivent sur la lune et qui ne le sauraient pas) a tout chamboulé. "J'étais un pessimiste. Je ne peignais que la misère et l'angoisse métaphysique. Après une longue réflexion, j'ai décidé d'avoir un enfant. J'ai pensé qu'il y avait autant de bonnes raisons que de mauvaises d'en faire naître un. Après je ne pouvais quand même pas passer mon temps à décrire la noirceur du monde. Il fallait que j'agisse pour qu'il soit mieux. C'est comme ça que je suis passé du pessimisme à un optimisme décisionnel".
Pour Adèle pas encore née, il se met à dessiner un imagier pour lui présenter le monde : objets, animaux, bestioles. Avec quelques planches, il rencontre Genneviève Brisac, éditrice chez Gallimard (qu'il suivra ensuite à L'école des loisirs). Ca donne "L'album d'Adèle", son premier livre pour les enfants.
Les mondes et les mots de Claude Ponti
Claude Ponti invente des mondes et des personnages. Il leur trouve des noms qui sonnent comme on les entend quand on ne sait pas encore lire, d'un bloc : Okilélé, Marie-Moulhoud, Monsieur-Monsieur, Oum-Popotte, Tromboline et Foulbazar, Nakakoué, Portillard Tulavi ... Il invente des mots aussi pour les actions, les émotions, les révolutions: "Je ne peux pas me raconter une histoire si elle ne sonne pas. Les noms viennent comme ça, parfois pour leur sens, parfois pour leur son. Parfois les deux."
Dans les livres de Claude Ponti, il est souvent question de voyages, de quêtes, de passages. "Ces mondes existent-ils ? C'est la question que me posent toujours les enfants. Et bien je leur réponds que oui, ces mondes existent dans le livre. Je ne marche pas comme ça, d’un côté le réel, de l’autre l’imaginaire. Mes histoires, c’est une description du réel à ma façon. Beaucoup d’adultes ont une idée du réel qui n’a aucun sens, un réel fantasmé. Ils croient que c’est réel mais c’est fantasmé. Si on prend chaque personne individuellement, on se rend bien compte que chacun a sa réalité (Certaines personnes donnent des noms à leur voiture, pour dire !). Et puis la réalité consensuelle masque les choses.
Quand on décale un tout petit peu, ça dévoile plus, ça rend l’histoire plus nette et en plus, le monde imaginaire est plus confortable. Si on dit des choses dures dans un monde identifiable, c’est plus sévère, ça peut même être inacceptable, alors qu’avec un être qui n’est ni un enfant, ni une bestiole mais un truc entre les deux, l’acceptation est plus facile. C’est plus accessible. L’enfant s’identifie plus facilement."
Parler pour de bon aux enfants
"J'ai été confronté très tôt à une réalité noire des adultes et je pense qu'il faut parler pour de bon aux enfants de la réalité, qui n'est ni rose ni bleue. Les enfants sont en train de se construire, et on peut leur parler à différents niveaux. Pour les enfants, les références n’ont aucun sens, mais ils peuvent entendre des choses et les comprendre beaucoup plus tard. L'idée s'installe. Et le moment venu, ils pourront y revenir. C'est bien de les familiariser avec certaines réalités, ils sauront que ça existe et pourront les accepter avec douceur. Pour moi, l'enfant est un être en devenir, c’est une façon de construire vers l’avenir."
Dans "Mô-Namour", son dernier album , une enfant, Isée, a un accident de voiture avec ses parents. Alors qu'elle essaie de se débrouiller toute seule, elle rencontre Torlémo, un gros bonhomme qui lui dit qu'il l'aime. Isée le suit sans broncher. Torlémo l'enferme dans un ballon et joue avec elle. Il "choutte et rechoutte" dans la balle, Isée toujours l'objet de ses jeux de brute. Elle ne dit rien, lui fait des gâteaux de plus en plus gros. Torlémo continue tant et si bien qu'Isée est "tournebouliglinguée" et finit par avoir des bleus partout.
Claude Ponti prend son temps pour dire ce qu'il a à dire. "J'ai mis des années avant de trouver la manière de dire ça, qu'on peut dire qu'on aime et en même temps faire du mal et cette notion de n'avoir dans la vie que telle ou telle personne au monde. Un père et une mère sont irremplaçables, par exemple, et si ces personnes font du mal, c'est terrible pour l'enfant, c’est l’impasse. J'ai choisi une situation générique (Torlémo ça peut être n'importe qui), et une manipulation concrète (jouer au ballon). Les enfants peuvent avoir des angoisses terribles sans même savoir que ce sont des angoisses. Quand l'étoile parle à Isée, c'est sa douleur qui lui parle et qui procède au déshabillage de l'illusion."
Claude Ponti aime jouer avec les textes et les images, rebondissant des uns aux autres, jouant souvent les paradoxes. Des détails dans les images, des notes dans les textes rappellent toujours à l'enfant qu'il est dans une histoire. "J'aime bien glisser des petites notes dans les pages, qui renvoient à d'autres pages. Je cherche à donner aux enfants une idée expansée de la lecture, qui n’est pas réduite au livre : une page renvoie à une autre page, qui renvoie à un autre livre qui renvoie à un autre livre. Il y a différents niveaux de réflexion, différents temps dans la lecture. C'est un va-et-vient entre la page et la tête : Je lis/ Je réfléchis / je lis/ je réfléchis.
Rien n'est jamais foutu
Mais il ne faut pas dramatiser. Claude Ponti ne ferme jamais les portes. Ce dont il parle n'est pas toujours rose, mais il montre aux enfants que quelles que soient les douleurs et les difficultés, il y a des moyens de trouver des issues, des passages, des solutions, des espaces "où le monde a l'air intéressant, les arbres sont tranquilles" et où on peut "vivre des aventures sans soucis".
"La vie est une grosse blague quand même. Il vaut mieux avoir de l’humour. Ne serait-ce que quand on pense à l’idée de la mort. On arrive là sur terre, avec un potentiel, qu’on exploite ou pas, et après c'est le déclin et la mort. Avec les enfants aussi, l'humour, ça aide beaucoup."
Les livres qui font peur aux parents
"Parfois les parents réagissent mal aux livres que je fais. L'accident du début de "Mô-Namour" est mal passé par exemple. Les enfants de trois ans rient parce qu'ils n'ont pas encore de références, mais les parents sont choqués...
Et aussi le "Catalogue de parents pour les enfants qui veulent en changer". On proposait aux enfants d’écrire vraiment (d’ailleurs ils ont choisi à 80% la lettre plutôt qu’Internet) d’envoyer une liste pour commander de nouveaux parents. On a eu des milliers de cartes réponses. On a dû arrêter quand même, parce que ça faisait beaucoup de boulot pour la maison d’édition. Tout ce qui remet en cause les parents, ça les inquiète."
La littérature, c’est un échange d’âme à âme
"Du plus profond de l'âme de l'auteur, au plus profond de l'âme du lecteur, et avec les enfants c’est un lien direct. Il n’y a pas de filtre. C’est parfois impressionnant et même bouleversant de voir à quel point ça les touche. Je n’ignore jamais que j’écris pour des enfants."
Son atelier : la vie des pinceaux heureux
Dans son atelier, les pinceaux et les gommes ont des maisons de retraite. "Je ne jette jamais mes pinceaux. Avec tous les services qu'ils me rendent, ce serait vraiment pas sympa ! En plus, ils sont en poils de marthe. On tue ces petites bestioles pour les fabriquer ! Le pinceau a un cycle de vie : d'abord il faut le faire, il ne donne rien. Puis vient l'état de grâce, il travaille tout seul. Et ensuite c'est la phase de la décrépitude, il se dégrade. Alors là, je recycle. Le pinceau ne sert plus pour l'aquarelle, mais pour d'autres petits travaux. Et quand il ne peut plus rien donner, et bien je ne le jette pas. J'en ai des pots et des pots remplis de pinceaux à la retraite dans mon atelier !".
"Et moi, si j’y suis heureux ? Euh … Je ne pose pas la question en termes de bonheur mais oui, j’y suis heureux. Bon parfois c’est difficile, un peu comme quand on fait la cuisine, j’adore faire la cuisine mais parfois c’est difficile. Il y a aussi que j’ai été élevé à la dure, avec cette idée qu’il fallait souffrir quand même, sinon ça ne donne rien de bon."
Je fais ce que j'aime et j'aime ce que je fais
Après L'album d'Adèle, Claude Ponti s'est arrêté de peindre, sans même s'en rendre compte. Il a trouvé sa place. "Avec la peinture, on gagne plus d’argent quand on vend plus cher à des gens plus riches. Et en plus, on peut travailler sur un tableau pendant des mois ou des années, on met tout de soi dedans, et le jour du vernissage, c’est un con qui l'achète. C’est horrible. Avec les livres pour les enfants je n’ai pas ce genre de problèmes. Et je gagne plus d’argent pas quand je vends les livres plus chers, mais quand j’en vends plus, au même prix."
"Quand je ne travaille pas, je me sens désoeuvré..."
OUf !!! Claude Ponti ne s'arrêtera pas de raconter des histoires extraordinaires, si précieuses aux enfants pour grandir. Le prochain album est prévu pour fin novembre, où l'on découvre la suite de "Mô-Namour", la belle venture d'Isée. Vivement ...
Voir aussi le site du Muz, un musée virtuel qui abrite des oeuvres d'enfants. Une idée de Claude Ponti.
Tous les albums de Claude Ponti sur le site de L'école des loisirs.
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