Salon du livre jeunesse de Montreuil : le livre écologique séduit les parents
L'écologie et la préservation de la planète sont au cœur des débats et de nos préoccupations. Un sujet angoissant pour les enfants que la littérature jeunesse permet d’aborder avec douceur.
“Il faut que tu tires pour voir les arbres”. Sur le stand de la maison d’édition Hélium installé au Salon du livre jeunesse de Montreuil, Tina et sa mère Helena s’amusent à manipuler un pop-up. Mère et fille observent avec attention les mécanismes que renferme Dans la forêt du paresseux, un livre qui retrace l’histoire d’un paresseux vivant dans une forêt victime de la déforestation. Au fur et à mesure que les pages se tournent, moins d’arbres se déploient. Et puis, plus rien.
Sur les étales des stands du salon, les livres jeunesse traitant de l’écologie sont nombreux à s'être faufilés entre les fantastiques et les romans d'aventures. Depuis plusieurs années, cette thématique s’est confortablement installée sur les étagères des librairies. Il suffit de déambuler entre les allées pour remarquer que rares sont les maisons d’édition qui ne se sont pas emparées du sujet. Certaines sont même spécialisées dans la question.
A une époque où la préservation de la planète et de son écosystème est l’une des principales problématiques mondiales, il est inévitable d’en parler avec les enfants. Le livre jeunesse aborde la question en douceur, pour les sensibiliser sans les faire sombrer dans l’éco-anxiété. Petit tour d’horizon d’un marché en pleine floraison.
En prenant connaissance du monde les enfants en prennent soin
“Je n’avais jamais vu une couverture comme celle-là. C’est marrant et original !”, complimente un père de famille en feuilletant Seul, moche et abandonné de Clémence Sabbagh. L’éditeur, Frédéric Lisak, ne pouvait espérer plus beau compliment. Il y a 20 ans de cela, il crée la maison d’édition Plume de Carotte avec un but précis : éduquer les enfants sur les questions écologiques. Et pour relever ce pari, le directeur de la maison d’édition a une règle d’or : amuser pour interpeller. “J’ai la conviction qu’on ne pourra sensibiliser que s’il y a des moteurs de plaisirs, de découvertes, de curiosité, d’humour et surtout pas d’injonction”, fait-il valoir.
“Et ce livre sur les déchets transformés en est le parfait exemple. Plutôt que de dire, ne jette pas tes papiers par terre, qui est à mon avis au mieux inefficace, au pire anxiogène, on passe par l’humour et la poésie qui sont des moteurs formidables pour renouer avec la nature”, poursuit-il la main tendue vers le livre cité. Même son de cloche du côté de la maison d’édition Hélium qui use de l’humour et du documentaire pour informer son jeune public. “Ce livre par exemple permet d’identifier les races d’oiseaux. Une fois qu’on les connaît, on fait plus attention à eux, on se met à les entendre et à penser à eux”, explique Flora. En prenant connaissance du monde qui les entoure, les enfants auraient plus tendance à en prendre soin.
Pour attirer les petites mains, les éditeurs misent sur une présentation ludique qui allie pédagogie et originalité. Le livre pop-up coche toutes les cases. Ces livres animés qui renferment des mécanismes qui permettent à des décors de sortir du livre plaisent énormément. “On a le même à la maison, en italien. Mais elle aime toujours autant le feuilleter, comme si c’était la première fois” nous confie la mère de Tina. Néanmoins, ce genre d’impression ne se fait généralement pas en Europe. “Le problème avec les pop-up et les livres cartons, c’est qu’ils viennent la plupart du temps de Chine. Pour nous, c’est toujours important que la ligne éditoriale du livre corresponde à sa fabrication”, pointe Sarah, libraire présente sur le stand Actes Sud.
Les parents, principale cible
Si le livre jeunesse s'adresse principalement aux jeunes lecteurs, son achat reste souvent à la charge des parents. Soucieux d’éveiller leur enfant à la préservation de la nature, c’est généralement eux qui se tournent vers ce type d’ouvrage. “C’est un public restreint et déjà concerné qui se dirige vers ses livres. En amont, ils se posaient déjà la question. Je n’ai pas l’impression qu’on vienne spontanément vers les livres écologiques”, remarque Sarah, après réflexion. Un avis partagé par Sarah Hamon éditrice et co-fondatrice de La cabane bleue, une jeune maison d’édition éco-responsable qui traite des problématiques écologiques.
Si les thèmes de l’imaginaire et du fantastique restent les favoris des jeunes bibliophiles, les parents vont plutôt avoir tendance à se laisser séduire par des livres aux visées didactiques, qui confrontent les enfants à une problématique sociale et environnementale. “Le livre écologique possède une vertu pédagogique. Et chez les adultes, il y a toujours une envie de pédagogie. Les parents aiment quand il y a une morale, quand le livre est utile. L’imaginaire est apprécié des enfants depuis toujours, mais je me rends compte depuis beaucoup d’années qu’une grande part d’adultes considère l’imaginaire comme une fuite en avant”, rapporte Thomas Glorieu, libraire chez Folie d’encre et Contre-temps. “Ils se disent ‘Je veux que mon gamin soit prêt pour le monde actuel et je ne veux pas qu’il se réfugie dans l’imaginaire. Ce que je trouve terrible comme constat”, poursuit ce dernier qui fait face à énormément de parents anxieux.
Mais si ce thème séduit autant les grands, c’est parce qu’il leur permet également de s’éduquer à leur tour. “Ça fait depuis très longtemps que je me préoccupe des questions environnementales et je me dirige vers ce type de livre pour mes enfants, mais aussi pour moi. Ça me permet de réviser les fondamentaux”, confie Valérie, mère de deux adolescentes. “Tout ce qui est de l’ordre du documentaire, les adultes les prennent comme de la vulgarisation à transmettre à leur enfant parce que ça les dépasse eux-mêmes”, ajoute Thomas Glorieu.
La question écologique, nouvelle locomotive
Il y a 20 ans, quand Frédéric Lisak a créé sa maison d’édition, le thème de la préservation de l’environnement n’était pas un sujet porteur. Si le livre jeunesse a toujours aimé mettre en scène des animaux, parler de la nature qui nous entoure et de la diversité de la faune et de la flore, il n’était pas encore question d’aborder la question aussi frontalement. Reflet de notre société, la littérature jeunesse ne s'en est emparée que récemment. "Depuis 5-10 ans, on voit une production clairement orientée vers cette problématique. Que ça soit dans le livre d'éveil, dans l’album, dans la narration, dans le documentaire, dans la non-fiction, ou dans le roman”, constate Thomas Glorieu, qui a travaillé pendant de nombreuses années à Montreuil.
Pour Sarah Hamon, la tendance est beaucoup plus récente. “Quand on a créé La Cabane bleue, il y a deux ans maintenant, ça commençait à frémir. On voyait de plus en plus de livres en librairie. Mais là, clairement, on voit l’offre exploser partout, chez les gros comme les petits. Chez certains, c'est un vrai engagement, chez d’autres, c’est du pur greenwashing”, estime-t-elle.
"Très souvent en édition quand on voit que quelque chose fonctionne, tout le monde y va. Comme quand on s’est rendu compte que faire des livres avec les personnages LGBTQ était important”, ajoute Sarah la libraire. Un mimétisme qui finit par engorger le marché. “C'est un problème récurrent, on parle de la locomotive Harry Potter qui a déclenché le goût pour la sorcellerie et la magie. Les éditeurs veulent très vite se saisir d’un marché, mais les gens ne sont pas forcément si intéressés que ça. Et nous en tant que libraire, au bout de la chaîne, on doit faire le tri”, témoigne Thomas Glorieu.
Des éditeurs plus ou moins exigeants
Pour faire ce choix, certains professionnels du livre inspectent minutieusement la manière dont la maison d’édition agit et l'importance qu’elle accorde au sujet. “On sait pertinemment que certaines maisons surfent sur cette tendance”, confie le libraire. D’autres s’engagent pleinement, et cela depuis la conception. "Nos livres ont été faits en France et c’est une des raisons pour laquelle nous ne faisons pas de livre pop-up. On travaille sur un format identique pour tous nos livres ce qui nous permet de gaspiller moins de papier, moins d’encre chez notre imprimeur. Et ça nous permet de proposer des livres à des prix les plus accessibles possibles”, souligne la créatrice de La cabane bleue.
Engagement similaire du côté de Plume de carotte : “Cela fait plus de douze ans qu’on est dans une démarche de qualité environnementale, que ce soit dans le choix de papier, de l'encre, mais également de la distance d’impression. On ne travaille qu’avec des imprimeurs français et belges”.
“Ce n’est surtout pas le procès des éditeurs qui n’arrivent pas au même niveau d’exigence. Je rappelle que dans le livre jeunesse il y a certaines techniques d’impression que personne ne réalise en Europe. Ce n’est que très récemment qu’on a commencé à faire attention à tous ces aspects. Dans le monde de l’édition, il y a encore beaucoup de choses à repenser”, conclut Thomas Glorieu.
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