Salon du livre jeunesse de Montreuil : Lucie Félix reçoit le "Prix La Grande Ourse" pour ses albums-objets qui éveillent les tout-petits
Après six albums jeunesse, Lucie Felix, déjà récompensée par le Prix Sorcière, vient de se voir décerner "La Grande Ourse" 2021 par le Salon du livre jeunesse de Montreuil qui ouvre ses portes mercredi 1er décembre. Découpages, livres accordéon et effets de surprise, elle réinvente la lecture chez les tout-petits. Portrait.
Bonnet bleu sur la tête et sac de rando sur les épaules, Lucie Félix arrive d’un pas dynamique au café Les Ondes, situé à deux pas de la Maison de la Radio. L’autrice de livres jeunesse de 38 ans, à l’allure presque un peu enfantine, sort tout juste d’une première interview pour France Inter. Elle s’apprête à nous accorder à nous aussi un peu de son temps, pas de jaloux. Si tout le monde se l’arrache, c’est parce qu’elle vient de remporter le prix "La Grande Ourse" 2021 décerné par le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, pour l’ensemble de son œuvre. En tout, six livres-objets singuliers aux graphismes étonnants destinés aux tout-petits.
La créatrice s’installe dans un fauteuil de cuir rouge, près de la fenêtre. Encore essoufflée et le regard un peu effarouché, elle commence par évoquer son enfance "très libre". Pas de voiture dans les rues de son Jura natal. L’environnement est pour elle un vaste terrain d’aventures, avec les copains. "On faisait beaucoup de bricolage, se remémore-t-elle avec tendresse, les parents nous laissaient nous servir d’un tas d’outils super dangereux."
Entrenir le lien entre parents et enfants
"Jouer vraiment, s’investir à 100% dans son imaginaire et ses explorations" est chez elle un souvenir encore vif dont l'évocation finit par la détendre complètement. Ce sont aussi ces moments qui nourrissent aujourd’hui ses albums. "J’ai plaisir à me remettre dans cet état d’esprit et recréer des conditions où les enfants, eux aussi s’en rapprochent." De sa jeunesse, elle se rappelle ces soirées passées avec ses parents à lire des histoires au lit. "Je me souviens des 'J'aime Lire' et des 'Monsieur Madame'".
De ces lectures partagées découlent le rôle qu'elle donne aujourd'hui aux parents dans ses créations : "je compte beaucoup sur la médiation du livre faite par l’adulte vers l’enfant. Expliquer les mots, lui raconter, l’aider s’il faut." Si le prix "La Grande Ourse 2021" la touche autant, c’est qu’il lui a été décerné aussi par les organisatrices de l’atelier "Un livre à soi" qui se tiendra au Salon de Montreuil cette année. Un dispositif visant à aider les parents en difficulté de lecture à lire des histoires à leurs marmots. "Typiquement le genre de chose que je fais lors de rencontres que j’organise sur le terrain", s’enthousiasme l’autrice. Car à la manière d’une scientifique, Lucie Felix aime retrouver ses petits lecteurs et leur famille, et expérimenter avec eux ses inventions littéraires.
Un passé scientifique
Une habitude qui lui vient probablement de sa formation en biologie. Elle adopte depuis une "attitude scientifique vis-à-vis du monde". "Il y a quelque chose de gravé en moi qui consiste à s’intéresser au réel. J’aime bien lire de la science, des neurosciences ou de la psychologie." Parmi ses personnalités préférées, Stanislas Dehaene, dont les travaux portent sur la lecture, le langage et la conscience, et Michael Tomasello, qui compare lors d’expériences les capacités cognitives des enfants et des grands singes.
"La science, c’est bien pour connaître mais pour s’exprimer, c’est plus difficile." Alors après son master en biologie elle se lance dans de nouvelles études à l’Ecole supérieure d'art de Lorraine-Epinal. Celle qui avait toujours rêvé d’un métier artistique rencontre un professeur qui l’initie aux travaux du plasticien italien Bruno Munari. Ce dernier a consacré une partie de son œuvre à la création de livres pour enfants, des objets qui séduisent Lucie Felix : "Il y avait un ton léger et facétieux, qu’on se permet rarement avec les adultes. Beaucoup de tendresse et d’intelligence." Les ouvrages sont rares, elle les déniche dans des bibliothèques, et des salons du livre.
"J’ai créé des livres en carton, avec du scotch et des cutters"
Ce minimalisme lui plaît : le langage graphique est complexe car très travaillé – il passe par de multiples canaux tels que le format du livre, les trous dans les pages, leur densité, les couleurs– mais "quand on se retrouve devant ces objets, finalement ils sont évidents. C’est ce tour de force qui m’impressionne", souffle l’autrice, admirative. C’est pourtant un exploit qu’elle aussi a réussi à accomplir dès son premier ouvrage 2 yeux ?. A chaque page tournée, une forme apparait grâce à la superposition de trous finement positionnés.
C'est là un travail de longue haleine qu’elle a mené sur un an avec son éditrice de la maison Les Grandes Personnes. "J’ai passé des mois à expérimenter avec des maquettes. J’ai créé des livres en carton, avec du scotch et des cutters. En fabriquant il se passe souvent des accidents qui m’emmènent à des choses intéressantes." C’est après ce premier ouvrage qu’elle a commencé à rencontrer des classes de maternelle, de quoi bouleverser sa manière de travailler. "La première fois, ça a été un gros choc. Je ne savais pas où en étaient les enfants, de quoi ils étaient capables manuellement, la découpe aux ciseaux en petite section par exemple, c’est compliqué…"
Le spectacle
Petit à petit, elle apprend. Elle a envie de faire des ateliers puis des ouvrages qui répondent aux problématiques des tout-petits. Après beaucoup d’observation, elle fait en sorte de donner aux enfants des consignes instinctives, et tente de leur faire comprendre les choses par eux-même. "C’est du jeu-travail, il y a une vraie fonction d’apprentissage derrière." Toutes ces expérimentations lui permettent d’adapter encore ces albums à son très jeune public.
Un nouveau livre, Le nid devrait sortir en mars prochain. Il est issu d’une collaboration avec la chorégraphe slovène Mateja Bizjak, avec qui elle avait déjà créé la pièce de théâtre Kuku. L'expérience l'a convaincue, "c’était tellement génial que maintenant, j’aimerais aller vers le spectacle, et faire chanter les enfants."
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