"La Fertilité du mal", un polar politique qui autopsie une Algérie désorientée

L'écrivain Amara Lakhous regarde le passé et le présent de l'Algérie dans les yeux dans ce thriller à tiroirs. Passionnant.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3min
Portrait de l'écrivain Amara Lakhous, auteur de "La Fertilité du mal". (OLIVIERO LA STELLA)

La révolution dévore ses enfants. L'écrivain Amara Lakhous semble poser dans La Fertilité du mal (Actes Sud) cette question existentielle qui hante nombre de pays qui se sont libérés dans les années 1960 : que sont nos indépendances devenues ? Où en est-on dans notre chemin vers l'émancipation ? Dans ce thriller politique, l'auteur algérien convoque passé et présent pour une confrontation désormais inévitable. Le jour du cinquante-sixième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 2018, un crime abominable est découvert dans une villa cossue à Oran.

Le cadavre mutilé est celui d'un ancien combattant, devenu apparatchik. La victime, qui préférait l'ombre à la lumière, était de ceux qui faisaient et défaisaient les carrières. Et les richesses. Beaucoup de richesses. L'appétit ogre est insatiable. Une soif inextinguible. Toujours plus d'argent et de pouvoir. Et toujours caché derrière des hommes de paille.

Qui a donc tué La Huppe ?

Il était une fois, il était plusieurs fois, quatre amis idéalistes qui rêvaient de liberté et d'indépendance. Ils se sont donnés corps et âme pour un idéal supérieur. Trois hommes et une femme. Des puristes, pour certains d'entre eux. Ils se voyaient libérateurs, se croyaient invincibles. Avant que tout dérape. Les amours sont brisées, les vies broyées. Certains réussissent et gravissent les échelons, d'autres se cachent une fois l'indépendance acquise, et d'aucuns se battent contre le fleuve détourné. Parmi eux, un prédateur. Là réside aussi la subtilité d'Amara Lakhous qui a su éviter le piège trop facile du "tous pourris". La corruption est là, aux yeux de tous. Elle s'exhibe sans retenue, et dans l'impunité.

Un meurtre, donc. Miloud Sabri, dit La Huppe, membre des services de renseignement, a été exécuté dans sa garçonnière, une magnifique villa coloniale, d'une façon qui laisse à penser que c'est une vengeance qui puise sa rage dans le passé. En haut lieu, ordre est donné d'enquêter au plus vite et en toute discrétion. Officiellement, La Huppe est décédé d'une mort naturelle. Il ne faut pas affoler le peuple, lui rappeler la guerre civile. Est-ce un acte terroriste ? "On craignait un retour aux années 1990 : assassinats politiques, liquidations des adversaires sur fond de la vieille rengaine 'Qui tue qui ?'".

Amara Lakhous, dans ce livre bien documenté, trouve du beau dans la laideur, de l'innocence dans un monde gangrené par la corruption. Ses héros sont en quête de justice, de réparation. La Fertilité du mal, un thriller passionnant sur les dérives d'un système agonisant, incapable se renouveler.

"La Fertilité du mal", Amara Lakhous, Actes Sud, 288 pages, 22,50 euros

Couverture du livre "La Fertilité du mal" d'Amara Lakhous. (EDITIONS ACTES SUD)

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