"Adikou" de Raphaëlle Red : une quête d'identité sensible et engagée sur les routes du Togo
Parisienne de naissance et berlinoise d'adoption, Raphaëlle Red publie des textes en français, en anglais et en allemand. Si son premier roman est rédigé dans sa langue maternelle, le récit est largement traversé par des expressions anglophones et des mots en éwé, l'une des deux langues nationales du Togo. Publié aux éditions Grasset le 10 janvier, Adikou est un voyage initiatique à l'écriture plurielle et sensible, un périple à fleur des choses.
L'histoire : C'est l'été à Paris. Adikou travaille dans un fast-food et ne supporte plus la chaleur de la ville. De but en blanc, elle se décide à quitter un quotidien qui l'étouffe et fait ses valises pour Lomé. Cette fuite vers le sud n'a rien d'un hasard. Adikou est l'enfant d'une mère française et d'un père togolais. Loin de chercher le dépaysement, la jeune femme espère découvrir dans cet autre pays quelque chose ou quelqu'un qui lui ressemble, un morceau d'elle-même ou de son père absent.
Ce premier roman prend la forme d'un road trip sur les sentiers d'un potentiel chez-soi. Adikou traverse le Togo aux côtés d'une narratrice moins en chair qu'en esprit, une amie omnisciente, une sœur. De rencontre en rencontre, la jeune femme retrace la piste familiale et apprend peu ou prou à répondre à la question que tout le monde lui oppose, celle qui lui demande inlassablement de nommer l'endroit d'où elle vient.
"Fifty-fifty"
Née d'une mère blanche et d'un père noir, Adikou peine à se définir. Sa peau semble même changer de couleur selon qui la regarde. En France, son pays de naissance, on interroge inlassablement ses origines. Au Togo, les enfants l'appellent "yovo", "blanc" en éwé. Alors "black", "yovo", "fifty-fifty" ou "citoyenne du monde" ? Le roman de Raphaëlle Red questionne la notion de "métissage", emploie le terme pour mieux s'en méfier. Si l'héroïne cherche dans un premier temps à fixer son identité, le récit garde ses distances vis-à-vis de l'injonction à l'appartenance, célèbre les interstices.
Dans ce premier roman qui évoque l'entre-deux dans lequel se sent une jeune femme racisée, Raphaëlle Red donne à voir certaines formes de violence que subissent les personnes noires. Du racisme insidieux d'un petit ami blanc qui "ne voit pas les couleurs" et dont "la main pâle ne craint pas la loi" aux paroles jetées à la figure, la jeune autrice écrit les expériences vécues par Adikou, transmet avec force les discriminations et les luttes. Au gré de la route, Raphaëlle Red revient aussi sur l'histoire de l'esclavage et de la colonisation.
Rencontrer un pays
Adikou est le récit d'une traversée tricontinentale à la découverte de terres chargées d'une histoire familiale ou collective. Dans ce road trip qui – peut-être parce qu'il est féminin – n'a pas grand-chose de ce qu'on associe traditionnellement au genre, l'itinéraire est moins une ligne droite qu'une spirale. Le regard de la narratrice s'installe dans cette errance et prend le temps de s'arrêter sur les formes nouvelles, d'offrir des images touchantes, surprenantes et justes.
Des trajets en zémidjan, les taxi-motos togolais, aux dégustations de foufou, Raphaëlle Red concède au corps une place centrale et écrit toutes les sensations. Avec une écriture vive, la jeune autrice transmet des instantanés des pays et des cultures que ses personnages traversent. Un premier roman engagé et sensible.
Extrait : "Elle a dit qu'elle ne l'était pas vraiment, noire, plutôt fifty-fifty, impur produit de la somme de moitiés. Qu'elle ne croyait pas trop à ces choses-là, qu'elle ne voyait pas l'intérêt de l'espace sécurisé si elle devait s'y sentir comme une intruse, la blancheur en elle comme la prothèse métallique qui alarme le portique. La fille l'avait regardée tristement, plus jeune qu'elle et plus grande aussi, en attrapant son manteau au fond de la salle de classe vidée. Comme tu veux, elle avait dit.
Adikou était sortie derrière elle, doucement, pour ne pas la rattraper. Ce n'était pas très audible, son histoire de grand-mère. Elle rencontrait des garçons dont la géographie était rouée de coups, et des filles aux nuques marquées du soleil du Sud qui se reflète sur les champs de coton, qui se tatouaient X juste sous le cœur pour encore sentir l'absence et pour toujours sentir la perte. Elle trouvait ça impoli, de leur affirmer le drame d'une origine connue. Elle gardait pour elle la grand-mère lointaine, les racines pleines d'épines, le père envolé, la méfiance vis-à-vis de la terremère et du mot même." (Adikou, page 24)
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