"Alors c'est bien" : l'écrivaine Clémentine Mélois accompagne son père jusqu'à la tombe

Comment accompagner un proche vers la mort, et préparer son enterrement. C'est ce que raconte avec sa sensibilité et son humour Clémentine Mélois dans ce nouveau livre qui paraît dans la rentrée de l'automne et qui vient d'obtenir le prix Méduse, première récompense littéraire de la saison.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'écrivaine et plasticienne Clémentine Mélois, le 26 septembre 2019, lors du festival Les correspondances, à Manosque. (JOEL SAGET / AFP)

Dans un récit touchant, la plasticienne et écrivaine membre de l'Oulipo [Ouvroir de littérature potentielle, célèbre groupe de recherche travaillant sur la littérature sous contrainte], Clémentine Mélois raconte les derniers mois de la vie de son père, atteint d'un cancer, et les préparatifs de la famille pour enterrer ce père idéal, sculpteur et homme libre à l'âme d'enfant, jusqu'à son dernier souffle. Alors c'est bien, publié chez Gallimard, sort en librairie jeudi 22 août. Le livre a remporté mercredi le prix Méduse, premier prix littéraire de la rentrée.

On connaît Clémentine Mélois pour son travail de plasticienne des mots, pour ses œuvres littéraires décalées, pour son amour de l'objet livre, qu'elle aime travailler comme une matière à part entière. En 2014, dans Cent titres (Grasset), elle pastiche les couvertures de la collection Blanche de Gallimard.

En 2017, elle écrit une série de textes inspirés par sa collection de listes de commissions, glanées au fil du temps, qu'elle rassemble dans un recueil, Sinon j'oublie, construit selon le "parcours du cavalier", à l'instar de La Vie mode d'emploi, de Georges Perec, illustre membre de l'Oulipo.

Croquis du cercueil

On la découvre avec ce nouveau livre, dans un registre beaucoup plus intime, et moins formel, avec le récit des derniers mois de la vie de son père, Bernard Mélois, sculpteur, disparu le 27 juin 2023. L'histoire d'un père magnifique, à qui sa fille va devoir dire au revoir. "Il faut que je raconte cette histoire tant qu'il me reste de la peinture sur les mains", commence Clémentine Mélois. "Elle finira par disparaître, et j'ai peur que les souvenirs s'en aillent avec elle, comme un rêve qui s'échappe au réveil et qu'on ne peut retenir".

Commander un cercueil et le peindre en bleu, émailler la croix, vider l'atelier de tous ses objets émaillés pour que l'artiste puisse retourner une dernière fois dans son antre, choisir les musiques de la cérémonie d'enterrement… Pendant quelques semaines, Clémentine, ses sœurs et sa mère préparent ce départ comme une ultime fête, orchestrée par le défunt lui-même.

En attendant, elles sont aux petits soins, se débrouillent pour qu'il ne souffre pas, prononcent les mots qui ont besoin d'être prononcés et entendus. "-Tu m'aimes ? / -Mais oui Pap, tu le sais bien, quand même ! / -Oh oui, je le sais !". Elles sont à l'écoute de ses dernières volontés. Il a tout prévu, en grand metteur en scène de sa sortie. Le livre reprend des extraits de son journal, et ses croquis du cercueil.

Filiation heureuse

Clémentine Mélois entrelace avec ce journal de bord d'une mort annoncée le récit des souvenirs d'enfance dans la maison de la Ferté-Milon en Bretagne, avec ce père magnifique, sa joie de vivre, sa détermination, sa créativité débordante, mais aussi sa grandiloquence, parfois. Souvenirs livrés en vrac : La Méhari, le chien Briard, l'atelier, "ce grand bâtiment sans chauffage, à la façade couverte de glycine et de rosiers grimpants", dans lequel chaque jour de sa vie le père a meulé, soudé, sculpté, recyclé en chantant.

Elle raconte ce couple, soudé lui aussi, que Bernard Mélois forme avec sa mère. Un duo qui s'entraide, se soutient, et encourage inconditionnellement ses trois filles dans tous leurs projets, aussi farfelus soient-ils. "Un amour comme celui de mes parents ne se voit que dans les livres ou les séries de Noël à la télévision – celles qui sont mal doublées et qu'on regarde en mangeant du chocolat, quand on a la grippe ou le cafard."

Sur la couverture, une photo d'elle enfant, tirée sur une luge par son père. Ils ont tous les deux la tête qui penche du même côté. Le père avance, la petite fille, reliée par un cordon tendu, se laisse conduire. Cette photographie en noir et blanc rehaussée de bleu illustre à merveille ce que porte ce livre : le portrait d'un homme libre et déterminé, d'un père aimant, l'histoire d'une filiation heureuse, et un éclairage sur les racines de l'œuvre joyeuse et singulière de Clémentine Mélois.

"Alors c'est bien" de Clémentine Mélois, Gallimard, collection L'arbalète, 208 pages, 19,50 euros, le 22 août 2024.

Couverture du livre "Alors c'est bien" de Clémentine Mélois, sortie le 22 août 2024. (GALLIMARD)

Extrait :

"Barbara était dans le même état d'esprit que moi. Elle fixait le ciel, guettant l'orage, et s'est levée d'un bond pour retirer le plastique de protection d'une enceinte qui gâchait l'esthétique de notre tableau. Cette névrose commune est notre secret de survie en milieu hostile. Vivre est assez bouleversant : entre le début et la fin, on ne sait jamais ce qui va se passer. Il n'existe pas de résumé sur internet, et on ne peut se fier aux critiques des spectateurs : "Stepho8: 2/5. Pas trop bien, c'était pas vraiment drôle." Face aux caprices de l'inconnu, nous tentons à l'aveuglette de faire de notre existence le meilleur film possible. Pendant que nous sommes occupés à soigner le scénario, le décor et les accessoires, nous gagnons quelques instants de légèreté. Comment faire autrement ?" (Alors c'est bien, page 180)

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