"Au soir d'Alexandrie" : Alaa El Aswany règle ses comptes avec l’Égypte de Gamal Abdel Nasser

L’écrivain Alaa El Aswany signe une œuvre corrosive et nostalgique sur la fin d’une époque, celle d’une Égypte cosmopolite ouverte sur le monde. "Au soir d'Alexandrie", autopsie d’une dictature annoncée.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 2 min
Portrait de l'écrivain égyptien Alaa El Aswany, auteur de "Au soir d'Alexandrie". (Abdallah Hassan)

Alaa El Aswany a une passion pour le verbe, le dialogue, le dire. Ses personnages s’engagent souvent dans de longs échanges. Et, à défaut de refaire le monde, ils vivent dans l’instant présent des moments de liberté, vite étouffés par des facteurs exogènes. Comme si l’espace public était interdit aux utopistes, idéalistes, ainsi contraints de rêver dans la sphère privée. La prison est hors les murs. Ce dedans/dehors est flagrant dans le dernier roman de l’écrivain égyptien, aujourd’hui exilé aux États-Unis.

L’auteur de L'Immeuble Yacoubian signe avec Au soir d’Alexandrie, publié le 4 septembre aux éditions Actes Sud, un livre crépusculaire sur une Égypte cosmopolite, et règle au passage ses comptes avec Gamal Abdel Nasser. Alaa El Aswany déconstruit, livre après livre, le mythe de l’homme providentiel qui viendrait à sauver l’Égypte de ses maux, de ses enfants, d’elle-même. Il s’en prend aussi à cette gauche qui, selon lui, a dévoyé ses idéaux.

Alexandrie, intérieur nuit

Dans un restaurant couru d’Alexandrie, un bar privé accueille chaque nuit le même groupe d’amis. Leur dénominateur commun : l’amour qu’ils portent à leur ville-monde, Alexandrie. Il y a l’avocat opposant, la propriétaire qui fuit la politique, le peintre utopiste, le directeur d’une usine, la libraire française… et Carlo le barman. Venus pour la plupart de différents pays, ils se vivent tous Égyptiens. Politiquement, ils sont partagés sur la politique du Raïs. Certains voient en lui une espèce de despote éclairé réparateur d’injustices et d’autres un usurpateur enténébré. "La religion vous fait accepter l’oppression et attendre la justice dans l’autre vie. La religion vous entraîne à obéir. Vous obéissez à Dieu puis vous obéissez aux hommes de religion, ensuite vous obéissez à votre mari et il est donc facile qu’ensuite vous obéissiez au dictateur. Le mariage, comme la religion, conduit à la soumission", décrète Chantal, la libraire française, déclenchant stupeur et rires parmi ses amis.

Le verbe, donc. Il est porté haut par des personnages très attachants. L’un des points forts d’Alaa El Aswany est de saisir le foisonnement culturel et social de la société égyptienne. Il décrit dans une suite de tableaux saisissants un pays qui se referme sur lui-même et qui fait de sa diversité une névrose. Ses personnages, pour beaucoup d’origines étrangères, se retrouvent accusés de tous les maux, livrés à la paranoïa du régime. Par une écriture soigneuse, épurée, et un dispositif narratif maîtrisé combinant les codes du thriller politique et de la fresque sociale, l’écrivain tient son lecteur en haleine dès les premières pages pour ne jamais le lâcher.

Que sont nos rêves devenus ? Après s’être intéressé à l’histoire immédiate de l’Égypte, avec J’ai couru vers le Nil, cette fois, Alaa El Aswany remonte le temps à la fin des années 1950. L’un des personnages les plus originaux du roman Au soir d'Alexandrie, et c’est là aussi où réside le talent de l’écrivain, est un sympathisant zélé du raïs, un naïf qui fait trembler tout l’édifice en révélant les failles d’une logique absurde. Indicateur ou militant dévoué à la Cause ? Alaa El Aswany est un pessimiste multirécidiviste qui arrive tout de même à voir de la lumière dans les ténèbres. Au soir d'Alexandrie est une œuvre corrosive et nostalgique sur la fin d’une époque.

"Au soir d'Alexandrie", Alaa El Aswany, traduit de l’arabe par Gilles Gauthier, Actes Sud, 23,50 euros

Couverture du livre "Au soir d'Alexandrie" d'Alaa Al Aswany. (Editions Actes Sud)

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