"Evanouissements" : l'itinéraire de Michel Strulovici, du jeune militant communiste au journaliste engagé

L’histoire débute par une fuite, une cavale. Novembre 41. Son père est communiste et juif. Raconté avec la nervosité d’un scénario, les parents du futur Michel passent en zone libre. "L’automne fut sec, cette année-là, les feuilles crissent sous les pas" raconte l’auteur. Le bruit pourrait alerter les Allemands. Sa mère enceinte rejoint Lyon, Michel Strulovici naîtra quelques mois plus tard. "L'enfant que je fus absorba comme une éponge, la violence de l’époque", l'auteur raconte, à travers sa propre histoire, la deuxième partie du 20e siècle. 

Une enfance  ancrée dans la résistance 

Tout commence avec l'occupation allemande. Strulovici raconte les actions de résistance comme un roman familial : "Les tracs jetés à la volée jusqu‘au coup de main armé, son landau servant de réceptacle à la littérature anti-allemand". Ses parents, ses oncles, sa famille, participent à la lutte contre les fascistes.  

La vie de Michel Strulovici s’ancre dans cette période : "la fraternité de destin des pauvres et des prolétaires, quelque soit leur origine joua pour freiner la réussite du plan d’extermination vichyssois et nazi". 

Le communisme 

L’auteur grandit ensuite dans un décor à la Doisneau, dans le nord de Paris. Une enfance toujours bercée par le récit de la résistance et par le militantisme de son père, Paul, au sein du Parti communiste.

Michel a 11 ans à la mort de Staline en 1953. Ce jour-là, il flanque un coup de poing à un dénommé Daniel Petit-Imbert, élève de sa classe qui le raille : "alors ton grand père est mort". Trente ans plus tard, l’auteur quitte le PCF tout en restant fidèle à ses engagements de jeunesse ; son père et ses oncles ne comprennent pas son  choix, "Je supposais qu’ils me considéraient comme un déserteur".  

Une vie d'engagements et d'aventures journalistiques   

Le livre nous plonge ensuite dans les années d'après-guerre. Quand en 1967, le jeune Strulovici demande l'Huma à la vendeuse de journaux du Rozier, petit village de Lozère, la dame n'en revenait pas : "Dans notre dos elle devait se signer et murmurer vade rétro satanas !". Une scène de cinéma. 

Évanouissements est le parcours d'un homme qui traverse un monde en pleine mutation. Lui, le communiste, part en Corée du Sud, devient coopérant français dans une dictature militaire. Il séjourne en Corée du nord, lui, le communiste, découvrant que le grand leader Kim Il Sung incarne parfaitement le dictateur idolâtré. Et puis, en 1975, il part à Hanoï. Viendra le temps de l'eurocommunisme, de la France de Mitterrand, et le long parcours de Michel Strulovici dans l'audiovisuel public, dont il fut un des acteurs, et dont l'évolution le déçoit profondément. 

Évanouissements, le récit épique d’un temps déjà ancien, mais surtout le récit nostalgique d’un monde où le combat pour les idées était glorifié. "Nous vivons d'une manière accélérée l'évanouissements de pans entiers de notre histoire. Nos représentations, notre communication, nos rêves mêmes ont connu des mutations telles en si peu de temps qu'il est souvent impossible aujourd'hui d'imaginer cet hier si proche. Ce qui fut considéré comme incontournable a été englouti. Je me suis donc attaché à ressusciter ce passé inconnu, méconnu ou oublié." explique l’auteur. 

En plus de 600 pages, c'est un "Je me souviens" de la deuxième partie du 20e qui nous est donné à revivre : des années de "militantisme échevelé et heureux" aux chroniques d'un monde qui disparaît, en passant par son amour pour le théatre et la création.

Sous la plume de Michel Strulovici, cette traversée est la réponse à une étudiante qui demandait à l'auteur, alors enseignant à Sciences Po : "Mais, Monsieur, comment avez vous pu être communiste ?".

"Evanouissements" de Michel Strulovici (Editions Le Croquant, 374 pages, 24 €)