"Jour de ressac" de Maylis de Kerangal : un anti-polar en quête de soi

Dans son huitième roman publié aux éditions Verticales, Maylis de Kerangal tisse un récit où une enquête pour homicide se mêle aux jours tranquilles d'une femme.
Article rédigé par Neil Senot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Portrait de Maylis de Kerangal, autrice de "Jour de ressac". (FRANCESCA MANTOVANI / GALLIMARD)

Dix ans après Réparer les vivants, roman qui avait valu dix prix littéraires à l'autrice avant d'être porté sur le grand écran, Maylis de Kerangal nous replonge dans la ville de sa jeunesse. Et deux fois n'est pas coutume, Le Havre se fait à nouveau le décor d'un drame. Jour de ressac est paru jeudi 15 août.

L'histoire : Le corps d'un homme est retrouvé sur une plage du Havre. Les policiers ignorent de qui il s'agit. Le seul indice dont ils disposent est écrit sur un ticket de cinéma retrouvé dans la poche du pantalon du cadavre. Il s'agit du numéro de téléphone de la narratrice, une doubleuse de cinéma d'une cinquantaine d'années. Cette dernière se retrouve alors mêlée à l'affaire dont elle semble tout ignorer.

Une déambulation

Jour de ressac se présente comme un livre policier. Entre un cadavre non identifié et une zone connue pour ses nombreux trafics de drogues, ce nouveau roman de Maylis de Kerangal en comporte les principaux éléments. Que les grands amateurs de polar soient toutefois prévenus : le livre ne s'aventure pas dans les coins sombres de la ville et ne suit pas l'avancée de l'affaire à la trace. L'autrice propose une enquête au rythme des pas de la narratrice, une investigation aux allures de déambulation.

La narratrice ne reconnaît pas le corps de l'homme retrouvé sur la digue avec son numéro de téléphone griffonné, mais reconnaît sans peine la ville de sa jeunesse, son horizon, son cinéma, son bar. Tout en cherchant ce qui peut l'unir au cadavre, elle reconnecte avec le Havre, se remémore des moments de vie qui semblaient avoir disparu avec l'éloignement et qui font d'un apparent polar un roman de l'intime.

Récit d'une femme

La ville du Havre est un décor récurrent dans l'œuvre de Maylis de Kerangal, mais elle apparaît ici à travers la géographie si particulière des émotions et des sentiments. L'autrice écrit d'ailleurs ce récit, et c'est quelque chose de rare, à la première personne du singulier. Cette narratrice qui dit "je" se perçoit en demi-teinte. On connaît son âge, les jalons de sa vie, on assiste à quelques sursauts de ses souvenirs, à ses réflexions sur le monde, mais on ne sait jamais son nom. Elle est une parmi d'autres.

Le roman est une enquête intérieure qui questionne le passé, les brisures et remonte lentement vers quelque chose de perdu. Maylis de Kerangal offre un joli regard sur les douleurs anciennes, les marques qu'elles laissent et celles dont on fait le choix de s'épargner. Le tout forme un récit sensible qui déjoue habilement, d'autres peut-être diront trop, les attentes des lecteurs.

Extrait : "Il était midi quand je suis montée sur la digue – je voulais faire moi aussi la promenade au phare. Un halo d'humidité flottait sur la jetée, qui s'est évanoui dès que je me suis approchée, la barre devenant alors très réelle, tendue, et rehaussée côté mer d'un muret de béton tel un rab de rempart, si bien que j'entendais les vagues cogner contre la muraille, le boucan du ressac, mais je ne voyais rien. Au loin, le phare projetait son désœuvrement sur l'avant-port, fou et solitaire, résigné à attendre le soir pour émettre sa signature lumineuse : un éclat rouge toutes les cinq secondes visible à vingt et un milles nautiques. Le battement cardiaque de la nuit portuaire." (Jour de ressac, page 105).

Couverture de "Jour de ressac" de Maylis de Kerangal. (GALLIMARD)


"Jour de ressac" de Maylis de Kerangal (Éditions Verticales, 242 pages, 21 euros).

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