"L'Avion, Poutine, l'Amérique… et moi" de Marc Dugain : les mille et une vies d'un chasseur de vérités
La dernière fois que Marc Dugain a publié un roman autobiographique, c'était en 2021 avec La Volonté, bouleversant portrait de son père, éminent physicien nucléaire très lié au monde du renseignement d'après-guerre. Il semble aujourd'hui renouer avec cette veine dans un dernier opus très personnel, L'Avion, Poutine, l'Amérique… et moi paru le 10 octobre aux éditions Albin Michel. Un livre qui revisite quarante ans d'une vie marquée par d'incroyables rebondissements à travers les aventures d'un personnage aux allures d'un double, même si c'est parfois compliqué de percevoir ce qui relève de l'autofiction.
L'histoire : Jeune banquier brillant installé à New York au milieu des années 1980, le narrateur gravit à toute vitesse les échelons d'une réussite matérielle éclatante, deal maker du département aéronautique d'une grande banque américaine finançant les transactions de compagnies russes ou d'Amérique latine. Son but : engranger un maximum d'argent pour changer rapidement de vie loin d'un capitalisme vorace dont les us et coutumes le dégoûtent. Mais la machine va se gripper lorsque son couple explose, coincé entre la dépression destructrice de son épouse et la passion grandissante qu'il nourrit pour Julia avec qui il travaille, mystérieuse compagne d'un agent de la CIA. Survient alors un terrible drame familial qui va tout faire basculer, le contraignant à quitter brusquement les États-Unis. Quelques années plus tard, devenu écrivain, il décide de réactiver ses anciens réseaux pour enquêter sur la tragédie du sous-marin Koursk et sur la disparition du vol MH 370 de la Malaysia Airlines…
Parcours hors norme
Il arrive parfois des moments dans la vie de certains romanciers bien installés où il devient nécessaire de faire le point, histoire de comprendre ce qui a bien pu se passer lors d'événements douloureux d'un parcours hors norme, vécu pied au plancher. Simplement pour remettre quelque chose en ordre,"dans la fiction de (sa) propre existence". C'est exactement ce que vient de faire Marc Dugain avec le talent de conteur qu'on lui connaît, dans ce roman dense, tentaculaire, construit comme un thriller où plane l'ombre de services secrets étrangers et dans lequel il ne s'épargne pas.
Parmi les obsessions qui traversent le livre : la quête des vérités enfouies sous les versions officielles d'événements marquants, fil rouge habilement déployé tout au long de l'intrigue. "Écrire, ce n'est pas se retirer du monde, c'est au contraire un travail obsédant visant à en démonter les mécanismes les plus secrets." Dugain l'a souvent fait par le passé, bien sûr, décortiquant notamment les turpitudes de "l'Amérique du mensonge". Il récidive cette fois-ci en livrant quantités de détails inconnus du grand public, certains le touchant de près, notamment lors de ses enquêtes consacrées à la disparition du vol MH 370 de la Malaysia Airlines, ou à la tragédie du Koursk "comme si la vérité pouvait offrir un linceul acceptable pour tous ces marins morts". Et c'est absolument passionnant. L'écrivain interroge également les notions de réussite personnelle et de fidélité aux idéaux dans des sociétés où l'argent est devenu la vertu cardinale, détruisant au passage le fragile équilibre d'un monde tombé dans le chaos.
Faire enfin la paix
Et puis, il y a quelque part, entremêlé à la grande histoire, le récit plus intime d'un drame familial auquel le narrateur va devoir se colleter dans un exercice d'une émouvante sincérité, pour enfin "faire la paix". C'est un moment suspendu où il est question de creuser les vérités des uns, déterminer les responsabilités des autres et surtout de trouver un chemin. Il s'en dégage une réelle authenticité qui ressemble à bien des égards à un homme dont la place dans la littérature est définitivement à part.
"L'Avion, Poutine, l'Amérique… et moi" de Marc Dugain, éditions Albin Michel, 347 pages, 22,90 euros.
Extrait : "La fête capitaliste, c'est à ça que j'assistais du haut d'un gratte-ciel de Manhattan. Imaginez-vous New York à la fin des années 1980 pour un jeune Français d'une trentaine d'années qui rêvait de cette Amérique nourricière de tant de fantasmes. C'est là qu'il fallait être. À Londres aussi, mais New York pour la finance, c'était comme le golf de St Andrews en Écosse pour les golfeurs. J'étais installé dans ces bureaux depuis un peu plus de dix-huit mois, après avoir travaillé trois ans dans la filiale de cette banque américaine à Paris. Ils m'avaient engagé là-bas comme "scout", un peu dans le genre de ces pisteurs qui servaient autrefois l'armée américaine en territoire amérindien." (page 1)
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