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"La mémoire délavée", de Nathacha Appanah : un retour sur les traces familiales pour apaiser les douleurs passées

L'auteure mauricienne a choisi d'écrire des mémoires familiales sur lesquelles elle travaille depuis vingt ans. Le temps était venu de mettre des mots sur une histoire qui se délave de génération en génération, pour la fixer.
Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Natacha Appanah, écrivaine (@Mercure de France)

L'histoire : Tout part d'une image, celle d'un vol d'étourneaux qui empruntent chaque année les mêmes couloirs de migration. Comme a existé une route de migration pour les aïeux de Nathacha Appanah ouverte en 1834, et qui perdurera jusqu'en 1920. L'écrivaine raconte l'arrivée des siens en 1872 à l'île Maurice depuis l'Inde dans un très beau récit mêlé d'images personnelles. La mémoire délavée, de Nathacha Appanah, est paru aux éditions Mercure de France le 31 août 2023.

L'espoir d'une vie meilleure

Lorsqu'ils arrivaient sur l'île, la déshumanisation, c'était un numéro donné à chacun. À la fin du XIXe siècle, de nombreux engagés indiens sont recrutés dans leurs villages par des agents qui leur font miroiter des ponts d'or. Les ancêtres de l'écrivaine se sont ainsi laissé persuader d'une vie meilleure, eux qui venaient d'Andhra Pradesh, l'un des États les plus pauvres de l'Inde. 1872, c'est un siècle avant la naissance de l'auteure, et entre les deux dates, une mémoire est passée de génération en génération, parfois exacte, souvent floue, mais toujours racontée malgré la déperdition d'informations. Un siècle avant sa naissance, cela fait près d'un siècle et demi de souvenirs dans lesquels puiser, et autant d'années à remonter jusqu'à la source. 

Arrivée en France à l'âge de vingt ans, Nathacha Appanah est surprise lorsqu'on lui demande si elle est Indienne, et qu'on lui demande d'où elle vient. Elle s'aperçoit que l'histoire des engagés indiens de l'île Maurice est très peu connue. Elle va donc commencer ses recherches aux archives de l'immigration indienne à l'institut Mahatma Gandhi à l'île Maurice. Son travail se fait à la fois sur des documents, en recueillant la mémoire familiale, et en faisant appel à ses propres souvenirs d'enfance.

Une écriture élégante et posée

C'est une histoire complexe où, dit-elle, elle veut remettre de la simplicité. Pour pallier le manque de main-d’œuvre dans les colonies après la libération des esclaves, un système est mis en place : l'engagisme ("coolie trade" en anglais, car l'île Maurice est alors une colonie britannique). Les engagés fuient la misère endémique de leur pays d'origine avec les yeux qui brillent. Ils signent pour un maigre salaire le papier présenté par le recruteur sans parfois même connaître leur destination, leur travail, ou la durée de leur futur séjour. La plupart resteront dans leur pays de destination et ne reviendront jamais.

D'une écriture élégante et posée, le récit de Nathacha Appanah s'insère dans un magnifique livre, parsemé de quelques photos familiales racontant en forme de métonymie la petite histoire pour faire connaître la grande. On suit volontiers l'auteure qui voyage dans ses propres souvenirs, ceux de sa famille, et les met habilement en perspective avec l'histoire réelle. Un travail de mémoire nécessaire, et bienvenu.

Couverture de "La mémoire délavée", de Nathacha Appanah (@Mercure de France)

"La mémoire délavée", de Nathacha Appanah, éditions Mercure de France le 31 août 2023 (160 pages, 17€50).

Extrait : "Il y a plusieurs années, ma mère m'a raconté une anecdote qu'elle avait entendue lors d'une fête familiale, un mariage probablement. J'aimais ces fêtes-là quand j'étais enfant et que mes grands-parents étaient encore vivants. Il y avait les trois générations de notre famille, un arbre dont les branches me semblaient infinies et immortelles : celle de mes grands-parents, de leurs frères et sœurs, de leurs cousins ; la mienne, mon frère et mes cousins. C'était une même bulle bruyante, rieuse, désordonnée mais chaque génération avait son espace : les anciens dans la cuisine ou l'arrière-cour, les jeunes adultes dans le salon ou dans le jardin à jouer aux cartes, au domino, à boire des coups, et nous, les enfants, partout à la fois, dans les jupes des mères, sur les genoux des grands-parents, dans les arbres, cachés dans les armoires qui sentent la naphtaline, ou sous les lits pour une partie de cache-cache. Il y avait plusieurs langues dans cette bulle - créole, hindi, bhojpuri, telugu, français, anglais, franglais -, et parfois, au milieu des rires et des repas, il y avait des choses d'avant qui se révélaient."

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