"Le Chant du prophète" : Paul Lynch alerte sur les démocraties en danger dans un roman dystopique
Les démocraties libérales, très fragiles, sont mises à mal par les populistes d'extrême droite. L'écrivain irlandais Paul Lynch tire la sonnette d'alarme sur les dangers qui pèsent sur les démocraties européennes dans Le Chant du prophète (Albin Michel), un livre dystopique d'une rare puissance. L'autoritarisme arrive insidieusement, sans char ni gyrophare. Il s'installe d'une façon banale et grignote petit à petit les libertés. Puis un jour, arrivent les interdits : les droits de grève, de manifestation, d'expression, etc. sont rognés au nom de l'ordre et la sécurité.
Dans le cinquième roman de l'écrivain irlandais, tout commence par une simple convocation d'un enseignant syndicaliste, Larry Stack, dans les locaux de la police secrète. Il est sommé de prouver son innocence dans une non-affaire. L'Irlande sombre dans le totalitarisme. En librairie, le 2 janvier 2025.
Virage très à droite
Paul Lynch dit avoir commencé à rédiger le livre en 2018 sous la pression des événements politiques majeurs d'alors : Trump au pouvoir (déjà), le Brexit, la guerre en Syrie et – surtout – la crise des réfugiés. L'auteur irlandais s'alarme du virage très à droite de certains gouvernements européens. Dans cette dystopie qui fait écho à l'actualité, l'Irlande se donne à l'extrême droite. La police voit ses prérogatives étendues et une nouvelle police secrète voit le jour. Une résistance tente de s'organiser.
La famille de Larry Stack se bat pour survivre. Après l'arrestation de son mari, Eilish Stark tente de donner un avenir à leurs quatre enfants. Le présent est fait de disparitions, d'arrestations et d'exécutions. Partir, c'est mourir un peu, rester c'est mourir beaucoup. De nombreuses personnes s'exilent, contraintes et forcées à choisir entre le statut précaire de réfugié ou le cercueil. Et souvent, les futurs réfugiés mettent en péril leur vie en essayant de rejoindre des côtes plus accueillantes.
La forme et le fond. D'abord la forme, des blocs solides sans paragraphes ponctuent un récit empathique et néanmoins anxiogène. Le lecteur, saisi par une forme de grande urgence, est pris par une arythmie narrative. Le style original accentue l'atmosphère angoissante qui imprègne l'œuvre de Paul Lynch. Le fond, ensuite. Le Chant du prophète est un roman, manifeste politique qui questionne les consciences. Que feriez-vous à la place d'Eilish Stark ? Ce que Paul Lynch décrit si minutieusement est sans doute en train d'arriver un peu partout dans le monde. Le romancier, pour qui "si vous devez censurer votre parole, alors, vous êtes en danger", avertit sur ce qui peut advenir, et les dangers d'une tyrannie rampante. Avant qu'il ne soit trop tard. Le Chant du prophète, prix Booker Prize 2023, un grand roman immersif empli d'empathie et d'engagement. Paul Lynch, un éveilleur de conscience à lire au plus vite. Indispensable.
(Le Chant du prophète, Paul Lynch, traduit par Marina Boraso, Albin Michel, 293 pages, 22,90 euros)
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