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"Le chant du silence" : Jérôme Loubry dynamite le roman noir

Jérôme Loubry confirme, avec "Le chant du silence", qu'il est l'une des plumes les plus fortes du thriller français. Un livre d'amour et de rage.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
L'écrivain Jérôme Loubry, le 13 juillet 2020. (BRUNO LEVY)

Fuir le passé est vain, lui courir derrière peut se révéler dangereux, voire mortel. Jérôme Loubry signe un roman puissant, hypnotique, universel. Le chant du silence, éditions Calmann-Levy, est un vacarme assourdissant de vies fracassées sur fond de crise sociale et environnementale. Il raconte les amours contrariées, les amitiés perdues, les silences chargés de non-dits, la non-communication parent-enfant… Jérôme Loubry s’amuse à faire vaciller les certitudes.

"Ce que hurlent les hommes"

 

Le passé est omniprésent. Il s’invite à l’improviste, au détour d’une photo, d’une phrase. Quand Damien apprend que son père s’est jeté d’une falaise, d’où les femmes guettaient autrefois le retour des bateaux de pêche, il hésite à se rendre à son enterrement. Il le fait car il tient "à cracher sur le cadavre de ce père assassin". C’est cette rancune, cette rage longtemps contenue, qui le met sur les routes tortueuses de son passé. A ses risques et périls. Dans une petite ville, des pêcheurs rament à assurer le quotidien. Quand un bateau déverse du pétrole, toute pêche devient impossible.

Dans un décor à la Ken Loach, les drames rôdent. Trois adolescents, Oriane, Gustave et Damien, découvrent leurs premières amours, leurs premiers émois, leurs premières lâchetés… Et dans cette ville sinistrée, les mensonges deviennent des vérités, avec les silences pour complices. Quand Gustave est découvert mort près du port, toute la petite ville bascule dans une autre réalité. Cet été 1995 marque la fin de l’innocence. Damien devient le fils de l’assassin, déménage à l’autre bout de la France et rompt avec Oriane. En revenant sur les lieux de son enfance, Damien affrontera ce passé qui refuse de se décomposer, de se diluer. Et découvrira que les vérités d'aujourd'hui n'étaient pas celles d'hier. 

Avec une écriture cinématographique, Jérôme Loubry instaure un dialogue original avec le lecteur, se plait à l’égarer au fil des pages. Indéniablement, l’auteur de Refuges et De soleil et de sang est un excellent conteur, qui sait tenir son public en haleine. Rebondissements, fausses pistes, récits polyphoniques, il multiplie les miroirs dans ce voyage à la destination inconnue.

 

Couverture du libre "Le chant du silence", janvier 2023. (Calmann-Lévy)

 

("Le chant du silence", Jérôme Loubry, Calmann-Lévy, 21,90 euros)

Extraits. "Encore quelques mètres et les rues de mon ancienne existence m’engloutirent. Rien n’avait vraiment changé. (…) Je croisai les mêmes façades blafardes, surmontées de toits en ardoise grise. (…) Les rues étaient vides et de nombreuses maisons arboraient une pancarte "à vendre", certaines décolorées par l’attente. Les fantômes de ma jeunesse se dessinèrent sur chaque trottoir que je me rappelais avoir foulé en compagnie d’Oriane et de Gustave, un fils de marin, comme moi. Je revis nos promenades, à pied ou à vélo. Nos peurs, nos rires, nos joies sans pouvoir affirmer lequel de ces sentiments m’effrayait le plus maintenant. (…) Mais, alors que ma voiture filait vers mon passé, de mon propre abîme s’élevait le grondement de cette volonté, de ce désir resté longtemps inassouvi : je voulais voir son cercueil glisser dans sa tombe. Le regarder être couvert de terre, lui qui ne jurait que par la mer".

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