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"Le Grand Secours" de Thomas B. Reverdy : le chant mélancolique des banlieues abandonnées

Le nouveau roman de Thomas B. Reverdy plonge dans le quotidien d'un lycée de Seine-Saint-Denis. Un livre radical et éclairant sur un sujet d'actualité mille fois ressassé.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Le romancier Thomas B. Reverdy photographié à Paris, le 27 juin 2023. (JOEL SAGET / AFP)

L'auteur des Evaporés (Flammarion, 2014), récemment adapté en bande dessinée chez Sarbacane, et de L'Hiver du mécontentement (Prix Interallié 2018), Thomas B. Reverdy, revient dans la rentrée littéraire avec un roman qui raconte une journée dans un lycée de Seine-Saint-Denis. Le Grand Secours, publié le 23 août aux éditions Flammarion, figure dans la première sélection du Prix Renaudot 2023.

L'histoire : Mo, un lycéen réservé, poète et amoureux. Paul, un écrivain un peu dépressif, un peu poète aussi, en résidence dans la classe de Candice, une professeure de français pleine d'énergie et d'optimisme. Mahdi, le petit frère d'un caïd, Sara et ses copines… Tous se préparent à attaquer une journée ordinaire au lycée. Un lycée des quartiers nord de Bondy, en Seine-Saint-Denis, coincé sous un entrelacs de bretelles d'autoroutes entre le canal de l'Ourq, des entrepôts et des grandes surfaces d'un côté, un camp de Roms de l'autre. Ce jour-là, un lundi d'hiver comme les autres, un événement (une agression dont Mo est le témoin) déclenche une série d'événements qui vont faire monter la pression au fil de la journée, et provoquer une émeute jusque dans l'enceinte du lycée.

Que peut apporter la littérature sur un sujet si souvent abordé dans l'actualité, dans les débats politiques, dans les reportages ? C'est ce que démontre avec évidence ce magnifique roman imprégné de mélancolie, de colère et de poésie, qui nous emmène non seulement dans des décors, mais aussi dans la tête de ceux qui vivent au quotidien dans ces quartiers sacrifiés.

Comment s'allume l'étincelle ? Quelles sont les raisons de cette soudaine explosion de violence ? À travers le récit heure par heure de cette fameuse journée, le romancier dresse un constat sans appel sur la situation de ces quartiers abandonnés du territoire, et le désengagement de l'Etat dans ces zones où les besoins sont les plus aigus.

"Une manifestation du désastre"

Thomas B. Reverdy déploie ce roman à la manière d'un dramaturge. Avec une unité de temps : l'action se déroule sur une seule journée, un lundi entre 7h30 et 17 heures. Et une unité de lieu : tout se passe autour et dans ce lycée en REP (Réseau d'éducation prioritaire) de Bondy Nord. Le décor est planté dès l'entrée du livre, avec un plan du quartier, très clair, et une description détaillée et édifiante, que l'on découvre dans le regard en surplomb de Mo, accoudé à la balustrade du pont de Bondy, qui domine la zone.

D'une langue vive comme le feu qui embrase le quartier, le romancier dessine avec une acuité sans concession cet état des lieux. Il nous fait partager la colère et la tristesse de la jeunesse, la violence policière, le racisme ordinaire, la persévérance et le courage des professeurs, seuls face à la charge de plus en plus lourde qui leur est imposée, et qui tentent le tout pour le tout dans des classes de 36 élèves avec l'espoir toujours chevillé au corps d'accomplir leur mission.

"Personne ne regarde par là. Paul est le seul à s'effarer, à contempler cette montagne de déchets qui roulent jusqu'au Pôle emploi, se demandant si c'est une négligence de la voirie, une vengeance de la pauvreté ou juste une manifestation du désastre."

Thomas B. Reverdy

"Le Grand Secours", p. 53

Le romancier dépeint une société malade, dont la banlieue apparaît comme un symptôme géant. Une zone où se concentrent toutes les pathologies, reléguées là, comme s'il fallait circonscrire dans ces quartiers la misère et les manquements pour qu'ils ne contaminent pas le reste du territoire. On le perçoit dans une des premières scènes, celle où pour la première fois, Paul, l'écrivain, fait le chemin depuis chez lui pour se rendre au lycée. Une odyssée.

"Notre compréhension du monde"

Longtemps professeur dans un lycée de Seine-Saint-Denis, Thomas B. Reverdy colle au réel, mais c'est avant tout par la littérature qu'il touche à la vérité, éclairant cette question si souvent mise sur le tapis depuis trente ans.

Cette vérité, le romancier la chasse dans les tout petits détails, dans une géographie du quotidien, dans le RER, dans les rues, dans la salle des profs, en AG ou devant la machine à café ("au goût d'endive cuite"). Une courte scène autour d'une photocopieuse en panne illustre à elle seule l'absurdité d'un système éducatif soumis aux lois du marché, autant qu'à la lourdeur de l'administration.

"Paul dit que la littérature parle du monde qui nous entoure et nous aide à le sentir, parce que les mots sont comme un sixième sens pour l’homme, comme l’ouïe ou la vue, une façon d’appréhender le réel. Il dit que l'imagination est une faculté intellectuelle qui participe à notre compréhension du monde."

Thomas B. Reverdy

"Le Grand Secours" p. 154

Cette vérité, elle se lit aussi à travers le destin et les sentiments d'un chœur de personnages dont on peut pénétrer la complexité, mis en scène dans une construction narrative qui fait peu à peu émerger le drame. Roman sombre, mais plein de drôlerie, Le Grand Secours offre aussi un espoir, des éclaircies fugaces, nous invitant dans des petites clairières dont le terreau parvient à faire surgir, presque aussi vite que la violence, une poésie singulière et puissante.

"Le Grand Secours", de Thomas B. Reverdy. (Flammarion, 320 p., 21,50 euros)

Couverture du roman "Le Grand secours" de Thomas B. Reverdy, août 2023. (FLAMMARION)

Extrait :

"Elle aime bien leur imagination, la façon qu’ils ont de jouer avec les mots, de mélanger les niveaux de langue et les contextes, de confondre leurs différents sens. Il y a de la poésie, sans doute il y a de la politique dans cette façon de faire, de maltraiter la langue officielle, de la politique dans la langue, c’est de la poésie, dit-elle, et il y a surtout beaucoup d’humour dans leurs manières de parler. Dans leur argot. Comment par exemple les centres-villes américains désertés, tels que Detroit les a rendus célèbres, les maisons que les habitants ont fuies, parfois incendiées dans un dernier espoir de toucher l’assurance, les immeubles vides et les vieux manoirs coloniaux transformés en crack houses, toutes ces abandoned places du ghetto, sont devenus, dans le vocabulaire d’ici, avec une ironie aboyante et mordante, le bendo, le quartier, la cité, l’endroit où l’on vit, plutôt abandonné de la République que de ses habitants. Il y a beaucoup de plaisir et de jeu dans leur attitude. Ces jeunes sont drôles. (Le Grand Secours, p. 195)

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