"Le Rêve du jaguar", prix Femina 2024 : la formidable épopée de Miguel Bonnefoy croisant le destin d'une famille et l'histoire du Venezuela
Le Rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy, déjà récompensé le 24 octobre 2024 par le Grand Prix du roman de l'Académie française, a obtenu le prix Femina mardi 5 novembre. Le dernier livre de Miguel Bonnefoy, sorti le 21 août chez Rivages, ne se résume pas, il se lit, se dévore même, avec gourmandise. Il est, sans conteste, l'un des événements de cette rentrée littéraire. La narration est portée par un foisonnement maîtrisé et un souffle épique. Une odyssée au pays de la "Petite Venise", le Venezuela, et plus précisément à Maracaibo. Une saga familiale qui se confond avec l'histoire du pays. Le roman flirte avec le conte et le réalisme magique.
Tout commence sur les marches d'une église. Une mendiante muette recueille un nouveau-né, abandonné trois jours après sa naissance. Elle y voit un stratagème pour amadouer le cœur des passants et, surtout, pour les alléger de quelques pièces de monnaie. De cette relation intéressée naît pourtant un tendre attachement.
Le petit orphelin, Antonio, élevé dans le dénuement, exercera plusieurs métiers (dont celui d'homme à tout faire dans une maison close) avant de devenir l'un des plus grands chirurgiens de son pays. Un destin incroyable. "Les paysans de Maracaibo disent que, dans toute portée de chats, il y a un jaguar. La mère, prudente, l'éloigne des autres. Elle le chasse. Dès lors, il grandit autrement. Il s'émancipe différemment. Ce sont les bâtisseurs de cette ville. On grandit tous avec un mythe. On est tous fils d'un rêve de jaguar".
Mythologie familiale
Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un grand-père et une grand-mère exceptionnels, mythiques, à l'origine de tant d'avancées sociales et économiques. "Dans mon enfance, ce mythe avait un nom : Antonio Borjas Romero. J'ai toujours entendu le récit du destin de mon grand-père, orphelin de la rue, gavroche et rufian, enfant de la misère et de l'ignorance, qui devint cardiologue et fondateur de la première université de Maracaibo, sauvant ainsi à la fois le cœur des hommes et celui de la connaissance", confie Miguel Bonnefoy. La rencontre d'Antonio avec Ana Maria est de celles qui marquent des destinées, personnelles et collectives. L'auteur du Voyage d'Octavio, grâce à sa plume poétique nourrie de vies merveilleuses, peint des tableaux saisissants. Et l'amour entre le futur chirurgien et la première femme médecin du pays qui se battra pour l'avortement, malgré des lois répressives, laisse peu de place à l'indifférence.
Ana Maria est une battante, avec des convictions chevillées au corps. Une féministe intransigeante. Miguel Bonnefoy a puisé l'inspiration dans la légende familiale. "Ce mythe familial portait aussi un autre nom : Ana Maria Rodriguez. Fille de la pauvreté et du hasard, fille qu'on a voulu assassiner à sa naissance. Cette grand-mère, que j'avais connue déjà vielle femme (…), avait été la première femme médecin de l'État de Zulia, à l'ouest du Venezuela, dont la renommée avait laissé une trace immortelle dans la région." Antonio et Ana Maria sont des héros, au sens premier du terme, qui rendent le quotidien source de miracles.
Le Rêve du jaguar est aussi l'histoire d'autres personnages, aussi attachants les uns que les autres, tout aussi originaux les uns que les autres. Le long défilé des parents, essentiellement le père aussi fantasque que fascinant, la prostituée aux longs cheveux roux, la domestique, la descendante qui ne rêve que de Paris, donne une épaisseur inouïe à ce roman. On a l'impression d'avoir lu une épopée de mille pages et non de trois cents. Et, une fois le livre fermé, ces personnages continuent de vivre en nous. Le Rêve du jaguar, un roman flamboyant.
"Le Rêve du jaguar", Miguel Bonnefoy, éditions Rivages-Payot, 21,90 euros
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