"Le Rocher blanc" d'Anna Hope : un incroyable voyage dans le temps autour de l'origine du monde
La romancière anglaise Anna Hope nous embarque dans une fresque qui traverse les siècles et jette un œil aiguisé sur la brutalité des conquêtes coloniales et sur la société occidentale, héritière de cette histoire.
Avec ce nouveau roman, Anna Hope nous fait voyager dans le temps et dans l'histoire avec une poignée de personnages dont le point de mire est un Rocher blanc, bout d'île minuscule et rocailleuse au large de la côté ouest du Mexique, considéré comme l'origine du monde par les autochtones. Le Rocher Blanc, paraît le 18 août 2022 aux éditions Le bruit du monde.
L'histoire : un lieutenant en expédition sur un navire espagnol (1775), deux sœurs yoemes déportées (1907), une star de rock en perdition (1969) et une écrivaine en pèlerinage, en quête de sens et d'un sujet pour son prochain roman (2020). Tous convergent vers le même point, le Rocher blanc, une petite île rocheuse située au large de San Blas, sur la côte ouest du Mexique dans la région de Narayit. Le Rocher blanc un lieu sacré pour les Wixaricas, qui le considèrent comme l'origine du monde. San Blas fut aussi point de départ d'un grand nombre d'expéditions dans le Pacifique.
Quatre époques, quatre personnages
"L'écrivaine" voyage au Mexique avec son mari et sa fille. Ils sont là pour célébrer la naissance de leur enfant. Dans un minibus avec un chaman et un groupe de touristes, ils se dirigent doucement vers le Rocher blanc pour une cérémonie New Age avec les peuples autochtones. Mais leur couple bat de l'aile, et à l'autre bout du monde, une pandémie pointe le bout de son nez. L'écrivaine prend soin de sa petite fille, et réfléchit à son prochain roman.
"Le chanteur", très clairement inspiré par Jim Morrison, a fait faux bond aux équipes de sa tournée. Disparu de la circulation, il traîne son ennui dans un hôtel de la côte mexicaine. Lassé par la notoriété, il cherche un sens à cette vie enivrée de succès.
"La fille" est une Yoeme (peuple amérindien, NDLR). Avec sa sœur, elles tentent de survivre dans l'expédition qui doit les conduire vers un destin qu'elles devinent funeste. Entassées avec d'autres dans une embarcation aux conditions de vie déplorables, elles ont été arrachées à leur terre et sont conduites de force sur la côte. Sa sœur est blessée. Les deux jeunes filles s'accrochent aux histoires de leur enfance, à leur culture, pour tenter de survivre.
"Le lieutenant" est un capitaine d'expédition. Il partage celle-ci avec d'autres explorateurs. L'un d'entre eux, le Capitaine Manrique, est soudain pris de divagations. Il a la vision que la course dans laquelle se sont lancés les empires coloniaux, qu'il sert, "aboutira à la ruine". "Nous sommes les agents de la Chute. Nous devons nous repentir. Faire des offrandes. Retourner chez nous", souffle le Capitaine. Ses propos sont considérés comme une trahison. Le lieutenant tente de le sauver, sans mettre en péril l'expédition, "il n'y a pas le choix".
"Son cœur bondit devant la scène qui s'offre à lui : le Rocher blanc, éclipsé par la magnificence de ces navires et tout leur chargement, ces navires qui sont prêts, les voiles déployées, et il ressent cet élan – oui, ils hisseront les voiles ce soir, cap à l'ouest dans la nuit."
"Le Rocher blanc"page 222
Le Rocher blanc apparaît comme la scène d'un théâtre traversant le temps et faisant résonner les destins tragiques de cette poignée de personnages en quête de sens. Il est aussi la métaphore d'une force immuable, témoin muet de l'agitation des hommes, de leur volonté effrénée et insatiable d'amour, de puissance, témoin aussi de l'inévitable vanité de leurs existences.
Mais quand le temps n'a plus d'âge et que toutes les histoires se fondent au pied du rocher, ces hommes et ces femmes, au milieu des offrandes, échappent l'espace d'un instant à leur condition, et retrouvent le chemin de leur humanité.
"Le risque d'une appropriation culturelle"
Anna Hope jette un œil tranchant sur la brutalité des conquêtes coloniales du 19e siècle, et les ravages qu'elles ont occasionné sur les peuples autochtones, et sur la société occidentale, matérialiste, à la recherche d'une spiritualité à l'autre bout du monde, chez ces peuples mêmes qu'elle a tenté d'anéantir au nom du progrès deux siècles plus tôt.
"Inclure la voix d'une fillette yoeme dans le roman, c'était courir le risque d'une projection et d'une appropriation culturelle. Je me suis appuyée sur les mentors et les ressources suivantes", prend la peine de justifier dans une note à la fin du livre la romancière, avant de citer ses sources, "des universitaires, chercheurs et artistes indigènes". Sage précaution dans un domaine qui soulève de nombreux débats.
Déployé dans une langue colorée, Le Rocher blanc nous transporte dans les atmosphères des différentes époques. Construit en plusieurs parties qui font alterner les différents récits, remontant puis redescendant dans le temps, cet ample roman choral d'Anna Hope embrasse tout autant le récit virevoltant des péripéties que traversent les différents personnages et leurs tourments, que l'histoire avec un grand H. Il se dévore comme un véritable page-turner.
Le Rocher blanc, d'Anna Hope, traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Elodie Leplat (Éditions Le bruit du monde, 320 pages, 22€)
Extrait :
"C'est l'Ouest. Longtemps il n'y a eu ici que de l'eau, de l'eau qui
bouillonnait, claquait et ne parlait qu'à elle-même :
parfois l'eau était un aigle, avec les cornes d'un cerf.
Parfois un gigantesque serpent à deux têtes.
Parfois une grande oreille, écoutant l'ancestrale
obscurité saumâtre.
Et puis un jour, un rocher est apparu, cime blanche
au-dessus des vagues : le premier objet solide du monde.
L'eau se mouvait contre lui : gifler, piquer, sucer, tirer.
En ce mouvement, cette friction, faisait de la vapeur,
devenait nuage, tombait en pluie, donnait la vie.
C'est le lieu où pour la première fois, l'informe s'est épris
de la forme.
Et donc, et donc, et ainsi alors, voilà comment le monde est né."
(Le Rocher blanc, page 195)
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