"Le Seul fou" : un long poème ciselé par la plume de Marc Pautrel

Cette courte fiction où chaque mot est à sa place se lit et se relit d'une traite.
Article rédigé par Carine Azzopardi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
L'écrivain Marc Pautrel. (ARLEA)

Se procurer ou recevoir un livre de Marc Pautrel, c'est ajouter une tranche de poésie à sa bibliothèque et dans sa vie, et ce n'est jamais désagréable. Le Seul fou, son dernier ouvrage publié le 23 août 2024 aux éditions Allia, ne déroge pas à la règle. On y est happé par l'écriture quasi-automatique de l'écrivain, et on suit les méandres de ses pensées comme le cours d'un ruisseau qui dégringole le long d'une montagne.

C'est un livre dans lequel il n'y a pas vraiment d'histoire. Marc Pautrel ne décrit ni les lieux, ni les personnages, qui surgissent dans le récit sans que l'on sache qui ils sont. Ceux-ci n'existent que par les sentiments qu'ils suscitent, ou par leurs actes. En revanche, on suit parfaitement les sursauts des émotions de l'auteur qui les décrit avec une précision sobre, voire chirurgicale. Exemple : "Les pensées se succèdent tellement vite dans ma tête que je crois que je vais devenir fou, que la merveilleuse horloge va s'emballer". Et un peu plus loin : "Ma main ne m'appartient plus quand j'écris, j'ai beau savoir que c'est un phénomène normal qui touche tous les écrivains, il m'effraie." La littérature est décrite comme une fille aux yeux bleus, rieuse, nez fin, bouche fine, dents courtes, menton doux… Et là où elle se tient, les rayons du soleil sont plus vifs. On comprend au fil des pages que c'est l'univers que l'écrivain a choisi depuis trente ans, faisant confiance au temps pour forger une œuvre discrète, d'un labeur régulier. Ancien juriste, l'auteur a décidé d'utiliser des mots très précis pour écrire des poèmes comme s'il s'agissait de textes de loi. Ce qui donne encore une fois un texte d'une grande sobriété, et d'une immense délicatesse.

Des bouées de sauvetage

Tout au long du livre, les phrases s'enchaînent, passant du coq à l'âne : le narrateur se décrit en train d'écrire, le processus créatif se déroule presque sous nos yeux, comme si l'on était entré dans son bureau par effraction et que l'on lisait par-dessus son épaule. Comme il le dit lui-même, c'est un "poème écrit par un fou, fou des mots et fou sauvé par les mots". Des mots qui constituent également pour le lecteur des bouées de sauvetage. "On ne peut pas savoir quel cadeau involontaire on a fait à autrui", dit la couverture. On ne saurait mieux dire. Et le but transparaît parfois au détour d'une page : "Si je ne suis pas capable, par mes mots, de guérir les malades, alors c'est que je ne suis pas un écrivain. Nous allons sortir du puits ensemble, nous allons retrouver la lumière la main dans la main."

Marc Pautrel ne reprend jamais son souffle, comme pris par l'urgence. Un seul long paragraphe sans jamais se retourner, sans aucun retour à la ligne. Ce rythme rend la lecture oppressante et haletante. Comme happé par la folie, le lecteur n'a plus envie d'en sortir, juste d'accompagner l'écrivain dans son monde parallèle et de le regarder "s'y suspendre, avec trois ou quatre kilomètres sous ses pieds." En période d'angoisse, c'est une lecture salutaire, presque psychédélique : de celles qui consolent, en apprenant qu'un autre est aussi "suspendu au-dessus du vide, que la chute ne s'arrête jamais, le sol s'ouvrant en dessous des pieds au fur et à mesure de la descente."

Nous avons imité le temps d'une lecture les oiseaux migrateurs imaginés par Marc Pautrel, qui se posent quelques heures sur des fils électriques avant de reprendre la route. "Certains envoient des fleurs et moi, j'envoie des mots : tous les jours un nouveau bouquet", écrit l'auteur, "j'ai bonne confiance dans le pouvoir de mes mots, ils valent bien mieux que moi." Bouquet bien reçu, merci.

"Le Seul fou" de Marc Pautrel, paru le 23 août 2024 aux éditions Allia (73 pages, 8 euros)

Couverture du livre "Le Seul fou" de Marc Pautrel. (EDITIONS ALLIA)

Extraits : "Non, les autres n'y sont pour rien, le fou, c'est moi. Immense éclaircie dans le ciel à l'intérieur de mon crâne : les nuages noirs s'écartent rapidement et le double éclat du bleu et du feu s'installe en plein milieu."

"J'ai été obligé de raser tout ce qui existait à la surface du globe et de reconstruire ensuite à l'identique toutes les villes, pierre par pierre, de pétrir également dix milliards d'êtres humains, pour remettre en place un monde nouveau dans lequel, enfin, j'ai une place, cette place-là, celle d'un homme intégralement vivant, qui respire et qui marche."

"Vous êtes nés ? Très bien, alors sachez que vous vous trouvez au volant d'un modèle de voiture un peu spécial : il n'y a pas de marche arrière, il n'y a pas non plus de frein."

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