"Les circonstances nous ont obligés à réagir, à bouger, et ça c'est chouette" : la fermeture des librairies donne des ailes et des idées aux acteurs de la chaîne du livre
Hauts cris, coups de gueules et coups d'éclats, jamais les librairies et les livres n'ont été défendus avec une telle ferveur depuis le 30 octobre 2020, début du second confinement. Mais qu'en est-il au quotidien dans les librairies, comment les libraires, les éditeurs, les auteurs se débrouillent-ils pour faire vivre cette période cruciale pour la chaîne du livre ? "Nous avons dû nous réinventer", confient ceux que nous avons interrogés.
Lee confinement a mis un coup de frein à cet enchaînement d'événements qui constitue un moment clé de l'année pour les auteurs, les éditeurs, les libraires : la rentrée littéraire suivie par la saison des grands prix littéraires de l'automne, qui précède la période des fêtes. Salons littéraires, rencontres et dédicaces dans les librairies, toute cette vie qui accompagne en temps normal la sortie des livres à cette période de l'année a été stoppée dans sa course le 30 octobre avec l'annonce du second confinement.
De nombreuses personnalités du monde de la culture se sont mobilisées ces dernières semaines de manière spectaculaire pour regretter la fermeture des librairies, et défendre le livre, qu'ils considèrent comme un "bien essentiel".
Au delà des coups de gueules et des prises de position, de nombreux acteurs de la chaîne du livre ont retroussé les manches pour tenter de trouver des solutions concrètes pour entretenir le lien avec les lecteurs, soutenir les ventes auprès des librairies indépendantes et éviter que les achats de livres ne se concentrent sur les plate-formes comme Amazon.
Le métier de libraire "chamboulé"
"Nous avions un certain nombre de rencontres prévues pour cette rentrée avec les auteurs de la maison", confie Sophie Raue responsable relations éditeurs-libraires salons et festivals aux édtions Flammarion. Cinquante dates étaient prévues par exemple au programme de la tournée des librairies pour Serge Joncour, auteur de Nature humaine, publié en août 2020, et qui lui a valu le prix Femina 2020 annoncé par communiqué, "sans micros, sans journalistes, sans fête", regrette l'éditrice.
"Nous avons pu faire une vingtaine de dates entre septembre et octobre, et puis on a dû tout arrêter le 30 octobre avec le deuxième confinement", explique Sophie Raue. "C'est dommage, surtout que les règles sanitaires étaient bien respectées dans les librairies et qu'aucun cluster n'a été déploré dans les librairies, mais c'est comme ça, tout le monde a été contraint de se réinventer", souligne-t-elle.
"Pour nous éditeurs, les libraires sont très précieux. Ce sont de vrais passeurs."
Sophie Raue, Flammarionà franceinfo Culture
"Je n'étais pas très chaud"
C'est dans ce contexte qu'est née l'idée de poursuivre les rencontres à distance pour animer les librairies et déclencher le fameux "click and collect". "Certains librairies ont tout de suite été emballés par l'idée, pour d'autres, peu habitués aux outils numériques, c'était plus compliqué, mais nous leur avons proposé un soutien logistique, et à partir de là, ils sont nombreux à avoir dit banco !" C'est Serge Joncour, très attaché aux liens qu'il entretient avec ses lecteurs et frustré d'avoir reçu le Prix Femina dans ce contexte si particulier, qui a inauguré ce dispositif initié par son éditeur, avec une rencontre virtuelle sur Instagram à la librairie Kleber de Strasbourg le 6 novembre.
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"Nous avions commencé à filmer et à publier nos rencontres sur Facebook avant le confinement, d'abord les rencontres des grands auteurs quand on ne pouvait pas faire entrer tout le monde dans la salle, et nous avons fini par filmer toutes les rencontres", explique François Wolfermann, responsable des rencontres et des événements de la Librairie Kleber à Strasbourg. Quand Flammarion lui propose au début du second confinement d'organiser des événements en direct, via des Facebook Live ou sur Instagram, il est un peu réticent. "Je n'étais pas très chaud, pour des questions d'image, et aussi parce que j'avais un peu peur que cela dérape dans les commentaires. Et puis je me suis laissé convaincre", raconte-t-il.
"On a fait la première rencontre avec Serge Joncour, et j'ai trouvé ça super. Instagram est un support qui permet de connecter d'autres communautés à celle de la librairie, les communautés d'éditeurs, d'auteurs, de lecteurs, voire d'autres communautés en fonction de l'invité"
François Wolfermann, librairie Kleberà franceinfo Culture
Il dit avoir également été surpris par la qualité des échanges pendant la rencontre, nourris par des commentaires "de très bonne tenue" . "Nous avons essayé d'incarner la rencontre en installant l'animateur dans le décor de notre salle, la 'Salle blanche', où se déroulent habituellement nos évènements, cela a permis une vraie rencontre, un dialogue direct, une vraie conversation", s'enthousiasme François Wolfermann.
"Nous apportons une aide logistique à certains libraires, en faisant la jonction entre le librairie et l'auteur, par exemple, pour vérifier qu'il n'y ait pas de problèmes de connexion", explique Sophie Raue. "Tous les libraires ne sont pas des adeptes des nouvelles technologies, et c'est bien normal puisque les rencontres physiques fonctionnent parfaitement en temps normal".
Vanessa Amiot, responsable de l'animation culturelle et de la communication des librairies Charlemagne, a accueilli la proposition des éditions Flammarion avec enthousiasme. "Avec ce confinement, les libraires deviennent des logisticiens, et c'est important de garder le lien avec les lecteurs".
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Depuis le premier confinement déjà, la librairie propose des conseils de lecture via ses réseaux sociaux, des rendez-vous réguliers, sous forme de textes illustrés par des photos ou bien de vidéos "quand nos libraires osent se lancer, car c'est très différent du tête à tête en librairie avec le lecteur!", confie Vanessa Amiot. "Nous essayons d'inventer des contenus personnalisés. Nous avons d'autres projets, comme des capsules de présentation de nos coups de coeur sur un ton décalé. Nous essayons de nous amuser pour faire passer l'identité de la librairie, maintenir le lien avec les lecteurs, et continuer à jouer notre rôle de conseil. Il faut soutenir les auteurs, aussi, qui en ont bien besoin", ajoute-t-elle.
"Les rencontres virtuelles proposées par les éditions Flammarion, pour nous c'est une nouveauté et nous sommes ravis", se réjouit Vanessa Amiot, qui a programmé avec l'éditeur trois rencontres sur Zoom.
Un effet sur les ventes
Ces rencontres virtuelles semblent susciter l'intérêt des lecteurs, et déclenchent des commandes "click and collect", a pu vérifier François Wolfermann. "On peut voir en temps réel des clients nous commander des livres pendant la rencontre", explique-t-il. "Nous avons des 'bonjour de Corse', 'bonjour d'Albi' dans les commentaires pendant les directs, ce qui peut laisser penser que l'événement profite sans doute aussi à d'autres librairies sur le territoire", ajoute-t-il. Un effet sur les ventes difficile à mesurer pour l'instant. Mais "pour 'Nature humaine' de Serge Joncour, Prix Femina, les ventes nettes ont été multipliées par trois la semaine de la proclamation et par cinq dès la semaine suivante. Cela montre que les libraires se sont bien emparés du titre !", se réjouit Sophie Raue.
"Dans les jours qui suivent nos posts coups de coeur, on note un frémissement sur les ventes des ouvrages mis en avant" remarque de son côté Vanessa Amiot, de la librairie Charlemagne à Toulon.
D'autres maisons d'édition se sont lancées dans l'aventure des rencontres à distance. Des événements que les éditeurs diffusent soit via les réseaux des libraires, soit directement sur leurs propres réseaux sociaux, comme Albin Michel, qui organise le vendredi 20 novembre un Facebook Live avec Katherine Pancol pour la sortie de son livre. "Elle vous dira tout sur son nouveau roman 'Eugène et moi', illustré par Anne Boudart", promet l'éditeur sur sa page Facebook.
"Des idées et des ailes"
Des dizaines de libraires en France ont inauguré de nouvelles manières de parler des livres aux lecteurs, comme Le Neuf à Saint-Dié dans les Vosges, qui s'est lancé dans des "lectures confinées" dès le premier épisode de l'épidémie en mars, transformées en "lectures reconfinées" depuis le 30 octobre, pour mettre en valeur leurs coups de cœur littéraires.
Une auteure, Frédérique Deghelt, a quant à elle eu l'idée de lancer pendant le premier confinement "Un endroit où aller", un site de rencontres littéraires en ligne, en partenariat avec lecteurs.com et des libraires indépendants, qui animent à tour de rôle les rencontres avec les auteurs.
La éditions Allary ont également proposé la présentation sur Instagram de L'Arabe du futur 5, dont la sortie prévue le 5 novembre a été maintenue. D'autres encore, comme Flammarion, inventent des dispositifs pour permettre aux lecteurs de recevoir un livre dédicacé, malgré le confinement, en glissant des marque-pages signés dans les livres tandis que d'autres organisent des dédicaces sur rendez-vous.
"Rien ne peut remplacer le lien réel, l'échange la vraie rencontre entre l'auteur et le lecteur", rappelle Sophie Raue, pour qui ces dispositifs sont avant tout imaginés et mis en oeuvre pour pallier l'impossibilité pour les auteurs d'aller dans les librairies. "Dès que nous le pourrons, nous retournerons dans les librairies avec nos auteurs, le plus vite possible", espère la responsable relations éditeurs-libraires de Flammarion, même si ces nouvelles manières de tisser des liens avec les lecteurs pourraient perdurer après le confinement.
"Il ne faut pas baisser les bras, il faut continuer à se motiver et faire des projets", croit Vanessa Amiot. "Cela nous a donné des ailes, et des idées. Pourquoi pas organiser un insta de 15 minutes avec Sempé, des rencontres avec des auteurs qui ne pourraient de toutes façons pas se déplacer à la librairie?", imagine François Wolfermann. "Les circonstances nous ont obligés à réagir, à bouger, et ça c'est chouette", conclut le libraire, qui a décidé de garder son optimisme pour traverser ce moment difficile pour tout le monde.
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