"Les Enfants du large" de Virginia Tangvald : dans les tempêtes et les naufrages d'une famille née en mer
Virginia Tangvald, pour son premier livre, Les Enfants du large, paru le 21 août chez JC Lattès, navigue entre autobiographie et épopée romanesque. "Mon père s'est mythologisé. C'est lui qui, à partir des récits dans ses deux autobiographies, a construit ce mythe", déclare Virginia Tangvald à franceinfo.culture. Pourtant, à l’issue des recherches de l'autrice, la vérité familiale sera bien différente.
L'histoire : Peter Tangvald, le père de l'autrice, dans les années 50 est un grand navigateur. C'est l'époque des premières traversées en solitaire et il fait partie des héros modernes, la liberté au gré des mers en étendard. Ses aventures font la une des magazines. L’autrice enquête à travers les océans pour retrouver la trace de ce père qu'elle n'a pas connu. Elle est née à bord d'un bateau mais sa mère s'est enfuie avec elle bébé. Cette fuite est un signal d'alarme pour l'écrivaine. Ce père cache en fait un homme épris de mer et de liberté mais prêt à sacrifier les siens pour cette utopie. Elle sait que le portrait de cet aventurier n'est pas complet, que la part d'ombre est terrible. Que des mensonges se cachent dans des épisodes oubliés.
Une enquête pour une quête
Dans Les Enfants du large, Virginia Tangvald part de port en port, à travers tous les continents pour rassembler les pièces d'un puzzle familial. Le roman – puisqu'il est écrit roman sur la couverture – débute sur la plage de l'île de Bonnaire. Une île paradisiaque, au large du Venezuela où en juillet 1991, un drame survient. Thomas Tangvald, le frère de l'autrice s'échoue et survit. À ses côtés, un second voilier, celui de son père et de sa sœur, se brise sur les récifs de coraux.
Peter Tangvald et sa fille meurent. C'est le début du livre et la fin de l'épopée de ce navigateur. Ce marin culte, grand, beau "comme un Vicking" a laissé dans tous les ports où il a accosté un souvenir contrasté. Admiré pour sa force à affronter les éléments marins, mais aussi inquiétant pour cette sombre attitude qu'il trimballe. Et en mer, deux de ses compagnes sur les sept qu'il comptera dans sa vie mourront de morts dites accidentelles, mais le doute planera toujours sur les vraies raisons.
L'énigme paternelle
En 210 pages, le lecteur suit Virginia Tangvald des îles de l'Atlantique aux montagnes pyrénéennes, de Porto Rico à Montréal dans une quête effrénée. Qui fut cet homme, ce père ? Elle l'écrit sobrement lors d'une rencontre avec un homme qui changera sa vie : "Je lui ai résumé cette histoire de naissances et de morts qui se termine par l'anéantissement de ma famille." Connaître les vérités était indispensable à l'autrice. "Le récit de mon père ne me convenait pas en fait. Moi, je n’arrivais pas à vivre avec ce récit-là, j'ai pu en donner un autre sens grâce aux faits, aux événements", nous dit-elle.
Des hommes et femmes ayant connu Peter Tangvald ouvrent leurs mémoires ou leurs boîtes à souvenir. Karine, avant de raconter le souvenir qu'elle garde de cet homme, par exemple lui déclare : "J'ai peur de vous faire de la peine". La délicatesse éclaire souvent cette recherche. Après avoir éclairé les zones d'ombre, avoir résolu les circonstances des drames, des morts qui entourent son père, l'autrice nous dit : "Je ne le vois pas comme un monstre mais il a fait des choses monstrueuses." Les derniers mots du texte sont : "Au revoir, papa". Les enfants du large sera donc un livre pour sceller une possible paix d'une jeune femme avec son père aux actes tragiques.
L'écriture comme apaisement
Connaître la vérité entraîne donc des réponses douloureuses. À cette intime question de la douleur que pouvaient provoquer ses recherches et ses découvertes, Virginia Tangvald nous répond : "Je sentais une violence derrière la quête de mon père ou derrière l'histoire de mon père, l'écriture m'a apaisé au contraire." Et son style, son écriture faite de descriptions de cette belle et inquiétante nature, de ces roches et embruns des côtes maritimes que sont souvent des paradis perdus font de la poursuite de la vérité, un voyage aussi dans la poésie. "Des cactus géants bordent le chemin, des mains de squelettes jaillissant du sol et implorant le ciel" écrit-elle pour décrire le paysage que découvre son frère après son naufrage.
La poésie comme refuge. "Je trouve que c'est par la poésie que l'on peut continuer à voir le mystère de la vie, la splendeur de la vie même dans tout ce qu'elle a de douloureux, pour être au diapason avec ce mystère qui transforme le bien et le mal." Les enfants du large est le récit d'une résilience par le courage d'affronter son histoire familiale et par la force d'une belle, très belle écriture.
Extrait :
"C’est la femme du fermier qui avait appelé la police. Au petit matin, son mari avait surpris dans la cour avant un adolescent nu et ensanglanté. Il cherchait « les autres ». Est-ce qu’ils étaient déjà arrivés ?
Ils avaient fait naufrage dans la nuit. Une nuit sans lune. Le garçon avait dû attendre l’aube dans l’eau noire, plongé dans l’obscurité la plus totale. Aux premières lueurs du jour, il avait escaladé le mur de corail et traversé, pieds nus, la plaine désertique et couverte de cactus vers la seule habitation visible depuis le rivage. Tout son corps était supplicié. (...)
Elle avait tenté, tant bien que mal, de rassembler les bribes de l’histoire rapportée par l’enfant. Il y avait deux bateaux. Sur le premier, son père et sa sœur, et lui sur le second. Quelque chose avait mal tourné. Peut-être que le phare ne fonctionnait pas. Peut-être que le père avait fait un malaise. Ils s’étaient fracassés contre les récifs. Il cherchait sa sœur et son père."
"Les Enfants du large" de Virginia Tnagvald aux Editions JC Lattés. 212 pages - 22 Euros
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