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Lilia Hassaine : "Vivre dans la transparence totale est une illusion, qui peut même devenir violente"

La journaliste et autrice publie chez Gallimard "Panorama", son troisième roman, en cette rentrée littéraire. Un ouvrage qui imagine la France en 2049, dans une France parano et hypocrite, où une transparence totale s'est imposée aux citoyens, sur fond de polar avec la disparition inexpliquée d'une famille.
Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La journaliste et autrice Lillia Hassaine (Francesca Mantovani/ Editions Gallimard)

Avec une écriture soignée et ironique, Lilia Hassaine nous transporte 26 ans dans le futur, quand la France sera entrée dans l'ère du "tout transparent", avec une criminalité proche de zéro et des citoyens vivant dans des maisons vitrées, permettant à chacun de voir - et donc surveiller - leur quotidien. C'est dans ce décor que, du jour au lendemain, la famille Royer-Dumas disparaît. Et Panorama nous emmène dans les pas d'Hélène, commissaire de police quinquagénaire et désabusée, chargée de l'enquête. LIlia Hassaine nous a reçus chez elle pour évoquer son troisième roman.

Franceinfo : la définition d'une dystopie est une fiction qui dépeint une société imaginaire. Or, en lisant votre livre, on se dit que tout cela pourrait nous arriver, et même nous arriver rapidement ?

Lilia Hassaine : effectivement, c'est plus une légère anticipation, on n'est pas complètement dans la science-fiction avec des robots ou de saut technologique particulier, on est dans une extension un peu d'aujourd'hui, ça, c'est vrai. Mais ça a demandé un gros travail d'imagination, puisque j'évoque une révolution dans le pays en 2029, ce qui n'est pas arrivé en France. Et concernant 2049, pour le moment, on n'a pas encore de maisons vitrées, on a des prémisses de cette transparence que je décris, mais bien sûr, elle n'est pas développée comme je le fais dans le livre.

Vous pensez qu'on tend vers une société où les gens vont constamment - et en temps réel - se surveiller, s'épier, et même se juger avec la téléréalité ou les applications sur smartphone ?

Oui, la téléréalité continue désormais chez soi, avec nos caméras, nos téléphones, aujourd'hui les influenceuses continuent "leur" téléréalité après avoir quitté les émissions, avec leur propre caméra chez elles, et plus celle d'un producteur. Les caméras, c'est une chose, mais concernant la transparence, on en entend parler de plus en plus, dans la politique par exemple, il y a de plus en plus ce souci, pour le meilleur, mais tant qu'on conserve des limites. Cette culture de la transparence s'impose désormais à plusieurs secteurs, et le monde du travail en général, avec ces grands open spaces et salles de réunion vitrées et ouvertes sur les bureaux.

La criminalité a baissé dans cette France de 2049 que vous imaginez, mais il y a ce quartier des Grillons, qui a choisi de vivre "hors transparence" où les trafics et violences continuent, avec la pauvreté. Il reste donc des laissés-pour-compte de ce progrès apparent ?

Oui, je ne voulais pas décrire un monde manichéen, où tout le monde serait rangé derrière une doctrine et une obligation dictatoriale. Il fallait donc qu'il y ait une part de résistance à cette transparence. Celle-ci présente beaucoup d'avantages, et je les décris, comme je le dis dans le livre d'ailleurs, peut-être que si les abattoirs étaient vitrés, davantage de gens arrêteraient de manger de la viande. Il y aurait aussi moins de maltraitances, etc. Cette société de "l'hyper sécurité" avec quasiment plus de risque possible, dans une époque comme la nôtre ou la sécurité préoccupe beaucoup les gens, ce serait une solution, radicale certes sans doute, mais envisageable. Mais il y aurait donc cette résistance, incarnée par les habitants des Grillons, mais qui pose aussi la question de la responsabilité : "OK, vous avez choisi de vivre hors de ce champ sécuritaire, donc vous êtes considérés comme irresponsables". Un choix fait par idéologie ou manque de moyens, parce que, selon moi, la fracture sociale existerait encore dans cette société pourtant présentée comme idéale. 

Ce qui est amusant, c'est que dans le livre, nous sommes dans presque trente ans et les individus, la société et les mœurs ont changé. Et pourtant ce qui fait basculer les hommes et les femmes ça reste le sexe, la jalousie, la cupidité, donc des sentiments "bassement humains", finalement ?

Exactement, "ma" société, elle est juste plus froide, plus administrative, plus ordonnée. Mais ce qui demeure, c'est cette part cachée que l'on a au fond de nous, c'est là où finalement le livre aboutit à une forme d'échec volontaire. Finalement, est-ce qu'on peut vivre dans la transparence totale ? Je crois que c'est une illusion, qui peut même provoquer de nouvelles formes de violences. Ce qui m'intéressait, c'était de pousser ce postulat le plus loin possible, jusqu'à des extrémités plausibles, mais où cette violence continuerait de jaillir, mais sous d'autres formes.

Panorama de Lilia Hassaine, aux éditions Gallimard.

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