"Ne vois-tu pas que je brûle" de Nathalie Rheims : un 24e roman, au nom du père

Depuis 1999, la romancière parcourt et défriche sa vie, sa famille, ses amours et déniche les secrets de son roman familial. Dans ce court texte intime, elle part à la recherche du père.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Nathalie Rheims, autrice de "Ne vois-tu pas que je brûle" aux Editions Léo Sheer. (AUDOIN DESFORGES)

Nathalie Rheims est la fille de Maurice Rheims. Maurice Rheims, des années 60 aux années 80, fut un personnage charismatique de la société française : résistant, académicien, homme des belles lettres, mondain et charmeur, le style d'une époque. Sa mère est Lili Krahmer, demi-sœur de David de Rothschild.

Sa sœur, Bettina, est photographe de talent et du président Chirac. Son frère, Louis Rheims, décédé en 1988, fut une figure du Paris chic et des nuits folles. Nathalie Rheims a été la compagne de Claude Berri et de Léo Scheer, décédé récemment, éditeur aux choix remarqués et osés, chez qui elle est toujours publiée. Pourquoi ainsi répertorier la famille de l'autrice, tel un bottin mondain ? Car son œuvre, ses romans racontent cette lignée. Revue d'effectif familial et romanesque.

L'œuvre comme un roman familial

Dans son premier livre, L’un pour l’autre, c'est Louis, cette figure du Saint-Germain des années 70-80, ce frère mort trop tôt, qu'elle ressuscite. Ce sera son entrée en littérature. Place Colette, en 2015, est le récit de son premier amour. Elle a 13 ans, lui 30 ans de plus et comédien de renom. Elle en donnait le sous-titre de "détournement de majeur".

Loin, du moins apparemment, des récits glacials racontant le Saint-Germain littéraire, masquant les horreurs des détournements de mineurs. Enfin, en 2013, avec Laisser les cendres s'envoler, Nathalie Rheims livrait les secrets, les non-dits – mais ne serait-ce pas la même chose ? – d'une famille, disait-elle, "singulière et flamboyante". Le feuilleton de la famille Rheims continue donc avec Ne vois-tu pas que je brûle.

Maurice et Serge, deux hommes dans sa vie 

Ne vois-tu pas que je brûle débute sur un divan. Sur le canapé de velours rouge de l'homme qui exerce le métier de psychanalyste. "Des enfilades de bibliothèques remplies de livres anciens (...)  des coussins vert tilleul délavés et des tas d'objets posés un peu partout, des statuettes d'Afrique ou de Colombie." Le décor est planté et presque parfait pour ce roman écrit comme une longue séance de psychanalyse.

Nathalie Rheims revient sur la mort de son frère Louis, et écrit : "Quand j'y repense, je mesure à quel point les séances avec Serge durant cette période ont été miraculeuses." Le psy, c'est Serge. Depuis l'enfance, Nathalie, chaque jeudi à 16 heures, sonne à la porte du 3e étage de la rue Casimir-Périer. "J'allais y déverser mon désespoir. À défaut de pouvoir me confier à Maurice." Le psy, un proche, comme un rendez-vous indispensable, comme le confident de la vie de famille, comme une oreille bienveillante. En fin psychanalyste, on se dirait bien que ce savoureux mélange des genres ferait le régal de la radicale règle du transfert. Mais nous sommes en littérature et pas sur un divan rouge.

La comparaison avec l'autre homme de sa vie, de son enfance, son père, est évidente avec ces mots, quand la petite Nathalie demande à la secrétaire "aux cheveux roux", avec "sa mise en plis et ses lunettes double foyer", quand elle pourrait voir son père : "La secrétaire décroche le téléphone. À quelle heure votre fille, Nathalie, peut-elle venir vous voir ? La réponse qui suivait était toujours brève. À 19 heures."

Lever le voile sur le passé

Il y a donc déjà deux rôles de père, deux personnages de paternel dans l'histoire de cette enfant. L'affaire se corse quand la jeune Nathalie découvre et fait découvrir au lecteur la relation profonde et mystérieuse entre Lili, sa mère (qui paie les séances), et Serge. Mais cela, c'est bien le récit aventureux de ce roman, de ces confidences, de la mise au jour des secrets.

Ne vois-tu pas que je brûle ou le dévoilement des secrets d'une famille bâtissant son existence avec éclat et romanesque, des histoires d'amour tragiques et enfouies, une leçon de psychanalyse un peu boiteuse.

Chez Sigmund Freud, il est écrit que c'est "par la technique de l'association libre que le patient peut lever le voile sur son désir inconscient". Nathalie Rheims, qui écrit en début de roman "la psychanalyse est au cœur de ma vie", a bien compris que lever le voile sur les secrets, même par la douleur et les larmes, finit par bâtir une œuvre singulière.

Couverture de "Ne vois-tu pas que je brûle" de Nathalie Rheims aux Editions Léo Scheer (DR)

Extrait :

Les premiers souvenirs que je garde de mon enfance se déroulent dans une vaste pièce. Un grand tableau était accroché au mur, il représentait une paysanne caressant une chèvre. Dans ce bureau immense, on pouvait voir des enfilades de bibliothèques remplies de livres anciens.

Il y avait un canapé de velours rouge avec des coussins vert tilleul délavés et des tas d’objets posés un peu partout, des statuettes d’Afrique ou de Colombie. Derrière une large table de travail, surchargée de brochures, de revues et de dossiers, trônait un chat en bronze, se tenant debout sur ses pattes arrière, un plateau entre les mains. Il en existait un, identique, dans l’appartement familial.

L’homme qui occupait ce lieu exerçait le métier de psychanalyste. Nous avions rendez-vous chaque semaine, tous les jeudis après-midi. Plusieurs années plus tard, alors que j’avais enfin osé lui demander d’où venait ce chat, il m’avait répondu que c’était un cadeau de ma mère. Je lui avais dit qu’il avait de la chance.

Il s’était contenté de répondre : "Oui, en effet."

Ne vois-tu pas que je brûle de Nathalie Rheims, aux Editions Léo Scheer, 19 euros, 145 pages.

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