"Pour Britney", troisième livre de Louise Chennevière : aux jeunes femmes la colère retentissante
En octobre dernier, Britney Spears publiait La femme en moi, une autobiographie dans laquelle elle révélait encore un peu davantage ce que son public a mis tant de temps à comprendre. Ces confessions d'une star internationale malmenée par le showbiz, à la vie volée dès l'adolescence par des adultes abusifs, se sont vendues à plus de trois millions d'exemplaires dans le monde. L'un d'entre eux est passé entre les mains de Louise Chennevière.
Preuve d'une lecture féconde, l'autrice de Comme la chienne (POL, 2019) et Mausolée (POL, 2021), consacre son troisième ouvrage à la chanteuse. Pour Britney, paru le 22 août, est une lettre d'excuse à celle qu'elle a tant aimée, et tant aimé jeter aux oubliettes.
L'histoire : À partir d'une photo d'enfance retrouvée dans de vieux cartons, l'autrice se rappelle sa passion pour le chant, la danse, et pour celle qui incarnait idéalement ces deux pratiques : Britney Spears. Louise Chennevière mêle son vécu à celui de la chanteuse et à celui d'une autre femme au destin brisé par le patriarcat. La vie de Nelly Arcan, écrivaine québécoise constamment ramenée par la presse à son physique et à son passé de travailleuse du sexe, fait ainsi écho à celle de la star de la pop, de l'autrice, et vice-versa.
Biographie collective
Pour Britney aurait pu s'appeler "Pour Britney et Nelly" ou "Pour Nelly et Britney". Car si le titre ne porte que le nom de celle qui fut dans les années 2000 la petite fiancée de l'Amérique, l'autrice convoque également la figure de Nelly Arcan. Mais peut-être est-il trop tard pour lui adresser un ouvrage. L'écrivaine québécoise, mal connue des lecteurs, s'est suicidée en 2009 à l'âge de 36 ans. Louise Chennevière lui rend hommage et croise son destin à celui de la popstar. Pour Britney parle de Nelly, de Britney, de l'autrice elle-même, et de toutes les autres.
Le point commun entre ces femmes ? Essentiellement en être, et avoir été trop tôt considérées comme telles. Louise Chennevière se plonge dans les interviews d'une Britney encore mineure et présentée par un journaliste comme "la plus coquine des lycéennes", elle épluche les magazines, les clips : toutes ces choses que la jeune chanteuse ne contrôle pas et qui font d'elle un "objet sexuel absolu".
Le constat est le même lorsqu'elle mobilise les archives d'une émission télévisée dont Nelly Arcan est l'invitée. On lui parle de son décolleté, de son physique flanqué en grand sur la couverture de ses romans par son éditeur, bien moins de ses écrits.
Paroles de lutte
"(...) il n’y a pas d’innocence possible lorsqu’on est une jeune fille, car être une jeune fille c’est être adressée, car être une jeune fille ça veut dire que tout ce que l’on fait signifie toujours quelque chose qui nous dépasse et qu’il y aura toujours quelqu’un pour mal interpréter, ça veut dire ne pas pouvoir être pour soi (...)", écrit l'autrice. De l'hypersexualisation à la difficulté de s'approprier son corps, Louise Chennevière évoque ce qu'ont subi deux femmes célèbres pour faire le récit d'un destin partagé et d'une colère commune.
Lorsqu'elle évoque ses souvenirs d'enfance – les réprimandes pour un "rouge aussi rouge" porté sur les lèvres ou l'injonction constante à croiser les jambes – il est difficile, pour peu qu'on ait été élevé en tant que femme, de ne pas reconnaître les siens. L'autrice condense les vécus et les offre dans une langue au rythme neuf, une langue qui percute, lutte et s'émancipe. Pour Britney est un récit fulgurant qui maintient que la littérature est politique.
"Pour Britney" de Louise Chennevière (Editions POL, 131 pages, 15 euros).
Extrait : "Comment aurais-je pu le savoir alors ? Et que ces mouvements que je répétais dans ma chambre n'avaient rien à voir avec le plaisir que je tirais moi à imiter celle que je voulais devenir, le plaisir pris à sentir mon corps vivant combien plus vivant que durant ces heures infinies que je passais assise en classe, que ces mouvements étaient, et même s'il n'y avait personne pour les voir, immédiatement suggestifs, car il se trouverait toujours quelqu'un pour regarder, et c'est peut-être ça ne plus être une petite fille, savoir qu'il y aura toujours quelqu'un pour vous voir, pour glisser un regard derrière un rideau, pour vous épier, vous surveiller, et pour vous désirer (…)". ("Pour Britney", pages 38-39)
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