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Rentrée littéraire : "La nourrice de Francis Bacon " de Maylis Besserie, la biographie de cette nanny qui a protégé le peintre de tous les dangers

Maylis Besserie avait raconté dans son précédent livre la vie de Samuel Beckett à la maison de retraite de la rue Rémy-Dumoncel à Paris. Elle s'attaque cette fois à un autre Irlandais, Francis Bacon, l'un des plus importants peintres du 20e siècle. Sulfureux et scandaleux. À travers Jessie Lightfoot, sa nourrice venue des Cornouailles, la vie de l'artiste est racontée.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Maylis Besserie , auteure de "La nourrice de Francis Bacon. Editions Gallimard (Francesca Mantovani ©Gallimard)

Lorsque Jessie Lightfoot arrive en 1911 dans le comté de Kildare au sud-ouest de Dublin, chez Mr Bacon, dit le Capitaine, elle ignore que sa vie va changer. Elle sera nanny, nourrice des enfants de la famille. Et elle accompagnera toute sa vie Francis Bacon. Née en 1871 dans les Cornouailles, rien ne la prédestinait à rencontrer et suivre le peintre jusqu'à sa mort en 1951. Quand elle travaille pour Bacon, devenu peintre en vogue à Londres, elle ira jusqu'à voler à l'étalage dans les périodes de vaches maigres de l'artiste. Récit douloureux et réjouissant d'une relation maternelle et joyeuse. Une autre manière de regarder l'œuvre du peintre.

L'effroyable père de Francis Bacon

Nous sommes dans cette Irlande où l'occupant anglais est en danger, où l'IRA pourchasse les protestants. La violence irrigue l'enfance du peintre. Cette violence qui irrigue aussi sa famille. Par la voix de la nourrice, Maylis Besserie brosse un portrait effroyable du père. C'est le Capitaine en raison de son grade dans l'armée anglaise. Ce père qui fait de l'enfance de Francis un douloureux chemin de croix, fait d'humiliation et de violence. C'est un bourreau et les violences corporelles sont décrites avec une précision glaciale. Est-ce que le peintre exorcisera ce sadisme paternel dans sa peinture ? La lecture de cette relation horrifiante aide à répondre à cette question centrale pour comprendre l'œuvre de Francis. La mère, elle, est absente ou elle organise des fêtes où ses enfants sont réduits au rang de mobilier. Arrive la bonne, la nourrice, Jessie. Elle observe, elle surveille, elle console. "Elle est sa vraie mère", dit l'auteure. Par sa voix, le lecteur suit Francis découvrant son homosexualité. Les réactions du père sont indignes. Francis Bacon file à Londres, il embarque Jessie avec lui.

Ah, et maintenant il est ravi le Capitaine, vous pensez. Enfin débarrassé du "mauvais fruit, de la reine du bal partie à Londres" - je passe sur les pires noms d'oiseaux qu'il donne à Francis. Et encore, c'est le moindre mal, s'il avait pu lui briser les os en le jetant hors du nid, s'il avait pu le noyer comme un chaton ligoté dans un sac (...) il n'aurait pas hésité une seconde, le barbare.

Maylis Besserie. "La nourrice de Francis Bacon". Éditions Gallimard

Francis Bacon en 1984 (ULF ANDERSEN / ULF ANDERSEN)

Londres, la carrière débute et Jessie découvre un autre monde

Jessie quitte donc avec Francis ce Downtown Abbey rance malgré les enchanteurs paysages irlandais. Après un passage parisien, ils se retrouvent à Londres. Elle découvre la vie amoureuse de son protégé, elle le conseille jusqu’à son choix des amants, elle est complice de ces larcins. "La couleur de la viande lui plaît - si vous voulez mon avis, les garçons bouchers aussi". Une nourrice moderne, surprenante par sa liberté de pensée et son inépuisable amour pour le jeune homme. Elle dort appuyée sur la table de la cuisine du encore minable atelier du peintre.

Besserie dessine ainsi ce Londres qui voit un immense peintre naître. La violence, cette fois est sur la toile. Le pinceau a peut-être remplacé le fouet des sévices d'enfance. Le lecteur ainsi suit le travail face à la toile, l'écarlate et le cramoisi des couleurs pour le jet inspiré de Bacon. On voit surgir ces monstres que sont les personnages du peintre. "C'est quand même étonnant, après avoir été élevé par des protestants forcenés, que des papes lui viennent comme ça (...) Et il faut voir les têtes qu'il leur fait, à force de les peinturlurer de la sorte, j'ai bien peur que ça nous attire des malheurs".

Etude pour le  Portrait du Pape Innocent X de Velazquez," peint par Francis Bacon (JOHN D MCHUGH / AFP)

La parole du peintre face à la toile

Il est bien sûr question de peinture dans ce remarquable roman. Les chapitres biographiques sont intercalés de courtes notices et le lecteur pénètre dans l'esprit de Bacon face à sa toile dans la furie de la création. Avec ce catalogue d'œuvres (Portrait de Peter Lacy, 3 études pour une crucifixion, figures dans un paysage, etc) sont raconté dans l'urgence la frénésie de création, les peurs et les effrois du peintre : le lecteur est dans l'atelier, ce lieu mystérieux, inconnu et solitaire du créateur. La nourrice n'est jamais loin, protégeant Francis de ses démons jusqu'à sa mort en 1951 qui laissera l'artiste dévasté. "M'entends-tu, mon Francis, Boumboumboum- entends-tu ta Nanny qui te parle au milieu du vacarme de son cœur ?" (...) Il bat pour toi, mon grand, pour toi, ma vie".

"La nourrice de Francis Bacon. Editions Gallimard (@Gallmard)

La nourrice de Francis Bacon, Maylis Besserie. Éditions Gallimard. 221 pages. 20 Euros

"Il me semble que j’y suis encore, que je sens de nouveau les coups de fouet de la pluie sur ma pèlerine, l’eau qui s’infiltre dans mes os au moment où je franchis la porte de Cannycourt House, où je me présente tel un rat mouillé à Mr et Mrs Bacon – "Jessie Lightfoot, je viens pour la place de nourrice… " À peine le temps de finir les salutations que mes bottines trouées se mettent à vomir toute la boue d’Irlande que j’ai ramassée sur les chemins, à souiller le tapis du grand hall de Cannycourt House. Je ne vous dis pas comment j’étais, "honteuse comme un chat qui vient de manger un canari", disait ma mère ! Ah, je vous assure que je n’ai pas traîné, j’ai pris congé et j’ai filé dare-dare vers les appartements des enfants, désignés par les domestiques qui me suivaient pareils à des ombres pour effacer mes bêtises. Vous parlez d’une entrée, obligée d’en rabattre, de glisser comme une limace jusqu’au couloir avant de pouvoir enfin retirer ces satanées bottines."

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